(Ottawa) L’achat de Twitter par le richissime homme d’affaires Elon Musk soulève certaines inquiétudes qui doivent être étudiées au moment où la désinformation demeure un fléau sur les réseaux sociaux, estime le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada, François-Philippe Champagne. D’autres élus attendent de le voir aller avant de commenter.

« La prudence est de mise dans un contexte où il y a une certaine concentration », a affirmé d’emblée le ministre à l’issue d’une réunion du Cabinet.

« On a vu comment les médias sociaux peuvent être utilisés à bon escient largement, mais aussi pour faire de la désinformation. On l’a vu d’ailleurs récemment dans la guerre en Ukraine. […] Dans un monde où il y a de plus en plus de polarisation, où de plus en plus les médias sociaux sont utilisés pour exprimer de l’information, mais aussi de la désinformation, je pense qu’il y a matière à prudence », a-t-il ajouté.

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François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada

À voix haute, le ministre s’est demandé s’il était souhaitable, pour la santé des démocraties, qu’un chef d’entreprise milliardaire se porte acquéreur d’un réseau social aussi influent que Twitter. « Il y a une réflexion à faire là-dessus », a dit M. Champagne.

Le ministre a indiqué que cette réflexion devait avoir lieu non seulement au Canada, mais également dans l’ensemble des pays démocratiques. D’ailleurs, il compte aborder ce sujet avec des membres de l’administration Biden lors d’une visite qu’il effectuera dans la capitale américaine la semaine prochaine.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est montré des plus préoccupés.

« De voir sans contrainte, sans cadre, le pouvoir d’individus devenir tel qu’il peut plier des États, plier des gouvernements et octroyer une licence de : “Tu peux dire n’importe quoi chez nous” à des millions et des dizaines de millions de personnes : c’est sûr que c’est inquiétant parce qu’on connaît l’effet […] de certains réseaux sociaux », a-t-il exposé dans le foyer de la Chambre des communes.

De son côté, le député libéral Nathaniel Erskine-Smith n’a pas voulu s’attarder à la flamboyance du nouveau maître de Twitter.

« Le plus important est d’avoir des règles solides pour encadrer toutes les plateformes, y compris Twitter. Cela devrait être notre principale préoccupation comme gouvernement plutôt que l’identité du propriétaire », a-t-il plaidé en mêlée de presse.

« Le changement de dirigeant a le potentiel de changer les choses et d’avoir un impact sur la plateforme, d’une direction ou d’une l’autre, et je pense que ce n’est pas quelque chose de nouveau », a relevé son collègue conservateur Garnett Genius.

Un gazouillis de trop

Il y a un peu plus de deux mois, alors que le centre-ville d’Ottawa était occupé par un convoi de camionneurs, Elon Musk avait offert son appui au convoi et avait comparé Justin Trudeau à Adolf Hitler sur Twitter.

« Cessez de me comparer à Justin Trudeau. J’avais un budget », lisait-on sur le mème d’une photo du dictateur génocidaire allemand publié sur le réseau social dont il est maintenant le patron.

François-Philippe Champagne l’avait rapidement couvert d’opprobre en anglais et en français, se tournant vers le même réseau social.

« À [Elon Musk] : certains de vos commentaires et comparaisons rapportés dans les médias aujourd’hui sont franchement choquants. Permettez-moi de vous rappeler ce que le Canada et les Canadiens valorisent. Les Canadiens privilégient les valeurs de stabilité, prévisibilité et respect du droit », a-t-il condamné.

Une représentante de Twitter devant un comité parlementaire

Au lendemain de l’annonce de l’acquisition de Twitter par Elon Musk, une représentante de l’entreprise a fait valoir devant un comité parlementaire qu’elle n’était pas en mesure de prédire quels effets cela pourrait avoir sur le réseau social.

La directrice des politiques publiques de l’entreprise, Michele Austin, figurait parmi les témoins du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, qui étudie la montée de l’extrémisme violent à caractère idéologique au Canada.

La députée bloquiste Kristina Michaud et sa collègue conservatrice Raquel Dancho ont tenté, chacune à sa manière, de savoir comment Twitter pourrait se transformer. En vain : la porte-parole de l’entreprise n’a pas voulu s’aventurer sur ce terrain.

Je ne peux pas conjecturer sur les idées d’Elon Musk ou m’avancer sur les changements qu’il pourrait opérer. Pour l’heure, il n’y a aucun changement, et tout changement sera communiqué publiquement – sur Twitter.

Michele Austin, directrice des politiques publiques de Twitter

Un peu plus tôt, devant le même comité, le directeur général du Réseau canadien anti-haine, Evan Balgord, disait redouter ce qu’il adviendrait du réseau social. « C’est préoccupant. C’est vraiment un développement terrible. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire avec cela », a-t-il laissé tomber.

« On a vu Elon Musk poursuivre ou tenter de censurer des gens qui disaient des choses qu’il n’aimait pas », a-t-il noté, accusant au passage le propriétaire de Tesla et de SpaceX de « ne pas vraiment croire en la liberté d’expression ».

La prise de contrôle de la plateforme de microblogage par le multimilliardaire a suscité les mêmes préoccupations de l’organisation Canadiens unis contre la haine. La transaction « constitue un danger pour la stabilité et l’ordre social », selon le groupe.