(Québec) Le nouveau troisième lien, dont l’enveloppe budgétaire est de 6,5 milliards, permettra aux villes situées à l’est de Lévis de se développer et d’attirer des résidants, dit le gouvernement Legault. Cet étalement urbain sera difficile « à cautionner », estime le maire de Québec Bruno Marchand.

Le ministre des Transports, François Bonnardel, a présenté la nouvelle mouture du projet de tunnel autoroutier, jeudi, lors d’une conférence de presse à laquelle le premier ministre François Legault n’a pas participé. Le ministre a confirmé que l’immense tunnel à deux étages évalué à 10 milliards annoncé en mai 2021 passe à la trappe. Contrairement à l’ancienne mouture, qui prévoyait deux voies réservées, on misera plutôt sur une « gestion dynamique » laissant une voie au transport collectif pendant les heures de pointe.

Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est l’argumentaire présenté par le gouvernement pour justifier le projet. M. Bonnardel et sa collègue Geneviève Guilbault, ministre responsable de la Capitale-Nationale, ne veulent pas parler d’étalement urbain. Ils utilisent plutôt les expressions « revitalisation » et « rééquilibrer l’aménagement du territoire ». Mais leur objectif est de permettre un développement accru à l’est de Lévis.

« Il existe des lois pour protéger le territoire agricole […], mais un jour, ces villes ont le droit de lever la main. Il y a des maires qui ne veulent pas nécessairement de la densification, et qui disent : “Moi, j’aimerais juste ça, avoir la possibilité d’avoir 40 maisons de plus.” Revitaliser le secteur à l’est de Lévis, c’est un équilibre important à trouver pour les prochaines années », a expliqué le ministre des Transports François Bonnardel. « C’est une mode, de densifier des secteurs », a-t-il ajouté.

Inquiétudes à Québec

Le maire de Québec, Bruno Marchand, n’a pas été rassuré par la présentation. « Rééquilibrer, ça veut dire développer l’est comme on a développé l’ouest. Donc ça veut dire plus d’étalement urbain. »

Je n’ai rien contre le fait que les familles veulent s’établir où elles le veulent. L’enjeu ici, c’est l’impact que ça a sur le transport et sur les GES, qui nous empêchent de réduire nos émissions de GES de façon à atteindre nos cibles [climatiques].

Bruno Marchand, maire de Québec, à la suite du point de presse

M. Marchand, qui n’a pas applaudi à la fin de la présentation, a affirmé aux médias que « c’est sûr qu’on va avoir de la difficulté à cautionner un projet qui additionnerait de l’étalement urbain ».

Cette refonte du projet de tunnel autoroutier entre Québec et Lévis, une promesse électorale de la CAQ, a été rendue nécessaire par « l’inflation galopante » et la pénurie de main-d’œuvre, a affirmé le ministre des Transports François Bonnardel.

Au lieu d’un seul tunnel géant de six voies, assorti d’une facture de 10 milliards, cette nouvelle version propose plutôt deux tunnels, quatre voies et une facture de 6,5 milliards.

IMAGE FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS

Le parcours de 8,3 km entre l’autoroute 20 à Lévis et l’autoroute Laurentienne à Québec est le même.

Les ponts de Montréal

Peu de faits nouveaux ont été apportés lors de l’annonce, comme l’a d’ailleurs souligné le maire de Québec. « On nous présente aujourd’hui une vision. On va avoir besoin de preuves, on va avoir besoin de faits, on va avoir besoin de données. Il reste beaucoup à démontrer. On applaudira ce projet quand ils seront capables de donner des réponses à nos questions », a-t-il dit. M. Bonnardel n’avait aucune nouvelle étude à fournir aux médias.

Il n’est pas possible par exemple d’avoir en main l’étude qui permet à François Legault d’affirmer que « le délai d’attente d’ici une dizaine d’années va être plus élevé à Québec que sur le pont [Samuel-De] Champlain ou sur le pont Jacques-Cartier à Montréal ».

Le document gouvernemental se lit davantage comme un prospectus publicitaire. On fait valoir que Longueuil ne serait pas la même si le pont Jacques-Cartier et le métro n’avaient pas été construits. Le gouvernement a même créé un nouvel indicateur, le PPM : le nombre de « ponts par million d’habitants ». Montréal et ses 18 ponts sont largement gagnants, avec 8,7 ponts par million. La région métropolitaine de Québec, qui n’est pas sur une île, serait donc en déficit avec ses 2,44 PPM. Dans cette comparaison, le ministère des Transports n’inclut pas la population des villes de Longueuil, Laval ou Brossard, par exemple, mais celle de Lévis à Québec.

L’ingénieur Bruno Massicotte estime que la nouvelle mouture est préférable à celle présentée en 2020, avec son tube unique de 19,4 m. « Personne n’avait fait ça sur la Terre », lâche M. Massicotte, qui a produit en 2016 une étude sur le tunnel Québec-Lévis à la demande du gouvernement. L’expert de Polytechnique Montréal estime toutefois qu’un pont représenterait la meilleure solution pour le troisième lien, et que l’étalement urbain est inévitable avec cette infrastructure. « Ça va favoriser l’étalement urbain sur la Rive-Sud. Ça, c’est incontournable. »

Critiques de l’opposition

Les partis de l’opposition ont critiqué cette nouvelle proposition, pas toujours pour les mêmes raisons. Le député de Québec solidaire dans la circonscription de Jean-Lesage à Québec, Sol Zanetti, accuse les ministres du gouvernement Legault de mentir en affirmant que le troisième lien n’encouragera pas l’étalement urbain.

PHOTO FRANCIS VACHON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Sol Zanetti, député solidaire de Jean-Lesage

« Ils ont réussi à faire un projet qui est encore pire que le précédent, un projet qui, pour sauver de l’argent, va sabrer la seule affaire qui avait le quart d’un millième d’une fraction de bon sens, le transport en commun », a-t-il dénoncé.

À l’autre bout du spectre, le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, souhaite plutôt construire un pont à l’est, moins coûteux qu’un tunnel. « La vraie nouvelle, c’est qu’ils vont retarder encore plus le projet. On ne pourra pas rouler dans ce bitube, s’il est construit un jour, avant encore 10 ans. Ce n’est pas un bitube, ça commence à ressembler à un bidule », a dit M. Duhaime.