(Québec) Le gouvernement Legault a critiqué « une communauté » innue qui a abattu des caribous forestiers l’hiver dernier, une façon de faire qui « n’aide pas » au rétablissement de l’espèce menacée. La sortie est qualifiée d’hypocrite par le bureau du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault.

« La CAQ qui pointe du doigt au lieu de prendre ses responsabilités. Un classique », a écrit mercredi sur les réseaux sociaux la directrice des affaires parlementaires de M. Guilbeault, Kate Legault-Meek. Elle a par la suite modifié son message, en affirmant qu’il était « assez hypocrite de voir la CAQ qui pointe du doigt, au lieu de prendre ses responsabilités ». En après-midi, elle a tout simplement effacé son gazouillis.

Elle critiquait la sortie du ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, qui a lancé cette accusation alors qu’il se faisait questionner sur les efforts que son gouvernement doit mettre en place pour rétablir la population de cette espèce emblématique.

« Ce qu’on a fait de notre côté avec les petites hardes isolées, on a décidé de faire des enclos pour protéger ces bêtes et se donner le temps de voir quelles sont les actions qu’on va faire », a-t-il lancé en matinée. « De l’autre côté, si tu as une communauté qui s’en va, sous le prétexte de sa bienfaisance, d’aller tuer des caribous dans un cheptel menacé et vulnérable, eux non plus n’aident pas la situation. Je pense qu’on est tout le monde en équilibriste sur cette situation », a-t-il ajouté.

M. Dufour a affirmé qu’il ne restait que 5250 caribous forestiers au Québec.

La problématique dans le forestier, on l’a vu dernièrement, on a des populations qui travaillent à améliorer la préservation, et de l’autre côté, j’ai eu l’autre jour une communauté autochtone dans l’est de la province qui est allée détruire pas loin de 10 % d’un cheptel qui avait 500 caribous forestiers environ.

Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs

La semaine dernière, son ministère avait confirmé au Journal de Montréal qu’il avait ouvert une enquête au sujet d’une cinquantaine de caribous forestiers abattus l’hiver dernier lors d’expéditions de chasse innues. Selon le quotidien, les bêtes auraient été abattues par des Innus de Nutashkuan.

Le gouvernement Legault s’est retrouvé mardi dans un bras de fer avec Ottawa : le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a lancé un ultimatum à Québec : sans nouvelles mesures communiquées « d’ici le 20 avril », il en imposera de son côté par décret.

M. Dufour est donc en train de rédiger une lettre, qui sera transmise jeudi, où il indiquera en annexe toutes les actions faites par son gouvernement depuis 2018.

« Petite politique »

La sénatrice Michèle Audette, également conseillère principale à la réconciliation à l’Université Laval, dénonce la « petite politique » du gouvernement Legault sur ce sujet. Elle croit que cette sortie du ministre est une distraction pour ne pas parler des ravages du colonialisme et de l’industrie forestière.

C’est une distraction pour faire réagir sur les réseaux sociaux. On est des milliers de personnes qui ne mangent plus de caribou par choix, on n’a même plus accès à ça. Chaque année, il y a un déclin.

La sénatrice Michèle Audette

« Certains individus n’ont pas eu de l’enseignement sur comment on doit interagir avec le caribou, je ne peux pas le cacher. Mais de venir pitcher ça dans un contexte beaucoup plus large et sensible, j’ai trouvé ça malheureux. Ça ne passe pas pour moi », a-t-elle dénoncé.

Ce n’est pas le premier accrochage entre le gouvernement Legault et les Premières Nations à ce sujet. Il y a quelques jours, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) a fait une sortie pour dénoncer le fait que la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards ne proposait pas de consultation spécifique pour les Premières Nations.

La communauté innue du Québec s’était également dite « extrêmement déçue » que le gouvernement Legault n’ait retenu aucun des territoires qu’elle proposait parmi les futures aires protégées annoncées en décembre 2020, ce qu’elle a considéré comme un affront.

« Une façon de se nourrir »

La sortie de M. Dufour n’est pas passée inaperçue. Questionné à ce sujet à la sortie de la période des questions, le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, a affirmé qu’il allait « s’enquérir » des propos de son collègue. « J’ai reçu plusieurs messages de mes collègues chefs », a-t-il admis.

Il a affirmé que l’épisode des 50 caribous abattus l’hiver dernier avait été abordé lors d’une rencontre avec son homologue fédéral, Marc Miller, ministre des Relations Couronne-Autochtones. « On s’est tous entendus que c’est un dossier complexe et sensible. Pour les Premières Nations, c’est un garde-manger, une façon de se nourrir, […] mais si on veut encore faire de la chasse, il faut qu’il y ait encore une ressource », a-t-il dit. Il a martelé que c’était un dossier « sensible et complexe ».