(Ottawa) Les images récentes du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy marchant dans les rues de Boutcha remplies de cadavres ont ravivé de douloureux souvenirs à l’ancien ministre canadien de la Défense, Peter MacKay.

La colère du président Zelensky était telle qu’il a dénoncé les anciens dirigeants de l’Allemagne et de la France — Angela Merkel et Nicolas Sarkozy — qui avaient bloqué l’entrée de son pays dans l’alliance de l’OTAN lors de leur sommet de 2008.

L’adhésion au sein de l’OTAN aurait pu protéger son pays contre les attaques russes en vertu de la garantie de défense collective de l’article 5 de cette alliance de pays d’Europe et d’Amérique du Nord.

Dans une vidéo partagée dans le monde entier, M. Zelenskyy a invité « Mme Merkel et M. Sarkozy à visiter Boutcha pour voir ce que la politique de concessions à la Russie a conduit en 14 ans […] voir de leurs propres yeux les hommes et les femmes ukrainiens torturés ».

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a visité Boutcha, le 3 avril.

Ses paroles ont rappelé à M. MacKay le sommet fatidique de Bucarest, en Roumanie, où le Canada et certains de ses alliés discutaient d’un plan pour que l’Ukraine se joigne à l’OTAN.

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper, avec Peter MacKay comme ministre de la Défense, avait appuyé sans réserve cette expansion.

« Je me souviens que le président Sarkozy, de la France, était dans un coin avec la chancelière allemande Angela Merkel et qu’ils avaient une discussion plutôt animée, » a raconté M. MacKay en entrevue cette semaine.

À la reprise de la réunion, M. MacKay se souvient que M. Sarkozy et Mme Merkel s’opposaient à ce que l’Ukraine ait accès à un plan qui lui aurait permis de devenir membre de l’OTAN.

« Et c’en était fini […] Il a juste fondu comme la neige du printemps », a-t-il affirmé.

La France et l’Allemagne ont nié que le consensus de l’alliance était nécessaire pour aller de l’avant.

Les réflexions de l’ancien ministre de la Défense Peter MacKay donnent un aperçu du rôle du Canada dans la chaîne d’évènements géopolitiques qui a culminé avec la guerre russe contre l’Ukraine et la condamnation mondiale de l’assaut ordonné par le président russe Vladimir Poutine.

L’Ukraine avait abandonné ses projets de rejoindre l’OTAN deux ans plus tard sous l’ancien président Viktor Ianoukovitch, mais c’est redevenu une priorité de politique étrangère en 2017 sous le président de l’époque, Petro Porochenko.

Le Canada pourrait se retrouver du bon côté de l’histoire, compte tenu de ce qui a suivi le sommet de Bucarest, soit l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie en 2014, la guerre de huit ans dans la région de l’est du Donbass avec la Russie et les crimes de guerre allégués découlant depuis l’invasion du 24 février dernier.

Je pense que c’est une décision qui a entraîné des conséquences très négatives que nous voyons se dérouler en ce moment en Ukraine.

Peter MacKay, ex-ministre canadien de la Défense, en référence au sommet

Au fur et à mesure que les nouvelles de Boutcha sont apparues, M. MacKay a fouillé dans une vieille boîte de documents et a récupéré un cahier d’information bleu avec des lettres dorées du sommet de 2008. Il a dit que c’était « inquiétant » de s’en souvenir.

Le sommet portait principalement sur la mission de l’OTAN en Afghanistan, où le Canada et ses alliés étaient aux prises avec une nouvelle vague de violence causée par une révolte des talibans et d’Al-Qaïda.

L’expansion de l’OTAN plus à l’est de l’Europe — ce à quoi Poutine s’était farouchement opposé — a également fait l’objet de discussions

« Il y avait des préoccupations, en particulier pour l’Ukraine, en ce qui concernait des allégations de gouvernance et de corruption au sein du gouvernement et il y avait la référence constante à la Russie étant une influence très néfaste », a indiqué M. MacKay en se souvenant d’une discussion animée.

Le Canada avait cependant été sans équivoque. Alors que la réunion était en cours le 2 avril 2008, le premier ministre Stephen Harper avait publié une déclaration dans laquelle il affirmait que le Canada appuyait la candidature de l’Ukraine et de la Géorgie au processus qui mènerait finalement à l’adhésion à part entière à l’OTAN.

Shuvaloy Majumdar, un ancien directeur de l’équipe de l’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Harper, John Baird, a déclaré que le Canada, plusieurs pays européens et l’administration américaine de George W. Bush de l’époque faisaient partie de ceux qui réclamaient l’expansion de l’OTAN.

« Le Canada a été un des premiers chefs de file à cette époque […] C’est l’opposition allemande qui a nui à l’adhésion de l’Ukraine », a déclaré M. Mujumdar, qui travaille maintenant pour la société d’experts-conseils de Harper et qui dirige le programme de politique étrangère du groupe de réflexion de l’Institut Macdonald-Laurier.

« L’Allemagne et d’autres pays [étaient] davantage axés sur la réconciliation, sur l’énergie… et vivre dans un monde imaginaire quand il s’agit de questions de transition énergétique, qu’il s’agisse du nucléaire ou d’autres sources renouvelables », a-t-il affirmé.

Peter MacKay croit toutefois que l’Occident peut se racheter auprès de l’Ukraine, d’autant plus que les forces russes se sont partiellement retirées du pays.

L’OTAN soutient que l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne, comme le réclame l’Ukraine, déclencherait une guerre à grande échelle avec la Russie. L’alliance devrait toutefois opter pour une « variante » de cela en équipant l’Ukraine avec des quantités massives d’armes de défense aérienne, y compris des avions de chasse, selon M. MacKay.

Ce dernier croit d’ailleurs que les forces russes sont en train de se regrouper pour mener une autre attaque, même si ses militaires sont blessés et démoralisés.

Il va sans dire que Vladimir Poutine veut recréer l’Union soviétique, une vision qu’il a dans le fond de son esprit depuis très longtemps.

Peter MacKay, ex-ministre canadien de la Défense

« Il a testé les limites de l’OTAN et a vu que l’Ukraine était la plus vulnérable et la plus désirable en raison de sa localisation. »