(Longueuil) Le 8 mars dernier, François Legault affirmait en présence de sa candidate Shirley Dorismond, que l’élection partielle de Marie-Victorin serait « un test d’abord pour le Parti québécois ». Dix jours plus tard, le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon affirmait qu’au contraire, ce scrutin « c’est d’abord un test pour le gouvernement ».

Selon trois experts en politique québécoise interrogés par La Presse Canadienne, les deux ont raison et leurs formations respectives ne seront pas les seules dont la performance sera scrutée à la loupe à l’issue du vote de lundi. Les analystes risquent en effet de passer beaucoup de temps à discuter aussi des résultats du Parti conservateur d’Éric Duhaime et du nouveau parti de Martine Ouellet, Climat Québec.

PQ : tout à perdre

Commençons par le Parti québécois, puisque Marie-Victorin est un château fort péquiste depuis sa création en 1980 et que la formation y présente un candidat-vedette, Pierre Nantel. Les libéraux ont réussi à le prendre une seule fois, en 1984, lors d’une élection partielle, et ce, durant une année seulement. Sauf que, pour la première fois à l’élection générale de 2018, la candidate péquiste Catherine Fournier – aujourd’hui mairesse de Longueuil – n’a pas été réélue avec la confortable majorité à laquelle s’est habitué le PQ dans ce bastion : Mme Fournier n’avait obtenu que 705 votes de plus que sa rivale caquiste, Martyne Prévost.

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Le candidat péquiste Pierre Nantel

« C’est un château fort dont les fondations s’effritent un peu », estime Thierry Giasson, professeur de science politique à l’Université Laval. « Oui, il y a un test pour le Parti québécois, parce que si ça ne passe pas à Marie-Victorin, ils vont devoir se justifier. Ce sera très inquiétant pour eux s’ils ne sont pas capables de gagner dans Marie-Victorin. »

« C’est certain que, pour le Parti québécois, l’enjeu est encore plus important que pour le parti ministériel, c’est clair », renchérit Alain Gagnon, titulaire de la chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes de l’UQAM.

« Quand on suit les sondages actuels, on n’a pas le sentiment que le Parti québécois a vraiment le vent en poupe et s’il devait y avoir une bonne nouvelle de ce côté-là, au moins ça lui permettrait peut-être de recruter des candidatures intéressantes dans d’autres comtés en vue des élections de l’automne et ça viendrait aussi motiver les troupes », ajoute-t-il.

« Le Parti québécois mise gros et c’est pour ça qu’on sent qu’il y met toute son énergie », note pour sa part le politicologue Éric Montigny, de l’Université Laval. « D’ailleurs, son candidat, Pierre Nantel, jouit d’une notoriété certaine. »

CAQ : tout à gagner

Mais puisqu’il s’agit d’une élection partielle, la première qui peut véritablement sonder la satisfaction de l’électorat puisque les deux seules autres sont survenues en début de mandat, le vote représente aussi une forme de plébiscite pour le gouvernement Legault : « Ce n’est pas une vue de l’esprit que de dire que c’est un test pour le parti au pouvoir, même si ce n’est pas une circonscription qu’ils ont remportée en 2018 », estime Thierry Giasson. Mais avec le résultat obtenu en 2018 et la chute de nombreuses autres circonscriptions péquistes aux mains de la CAQ en Montérégie, ajoute-t-il, « ils savent que le terreau est potentiellement fertile. Ils ont choisi Mme Dorismond à dessein. C’est une candidate issue de la diversité qui leur permet de recadrer peut-être certains à priori que pourraient avoir des électeurs critiques envers le gouvernement. »

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La candidate caquiste Shirley Dorismond

Alain Gagnon abonde dans le même sens. La victoire est importante pour les caquistes : « L’élection partielle est super importante pour donner du dynamisme au parti ministériel. Si la Coalition avenir Québec est en mesure d’aller rafler ce comté au Parti québécois, ce sera quand même un vote de confiance important. »

Et pourtant, prend soin de préciser Éric Montigny, gagne ou perd, la Coalition avenir Québec se retrouve quand même dans un scénario gagnant-gagnant. « La CAQ a moins à perdre dans le sens où c’est un château fort historique du Parti québécois. Donc, toute bonne performance pourra être interprétée comme étant positive même en cas de défaite. Mais on sent une volonté de la CAQ, quand même, de déployer des efforts avec une candidate qui a surpris, d’ailleurs, une ancienne vice-présidente de la FIQ. Donc c’est clair que la CAQ tente de ravir la circonscription. »

Lutte pour la troisième place

Tous les trois s’entendent pour dire qu’on assistera à une lutte entre ces deux formations pour la victoire. L’enjeu est beaucoup moins grand pour Québec solidaire et le Parti libéral du Québec (PLQ), qui se battront vraisemblablement pour la troisième place.

Quatrième en 2012 et en 2014, Québec solidaire a réussi à doubler les libéraux en troisième place, lors de la partielle de 2016, mais par seulement quatre voix. Puis, en 2018, le parti de gauche a consolidé cette troisième place avec une avance de près de 1900 voix sur le PLQ.

Québec solidaire n’a cependant pas encore réussi à menacer la PQ ou la CAQ. Il faudra voir si son nouveau rôle de deuxième opposition lui aura permis de prendre du galon auprès de l’électorat, ou pas. Deux femmes, Shophika Vaithyanathasarma et Emilie Nollet porteront les couleurs, respectivement, de Québec solidaire et des libéraux.

Éric Duhaime : de zéro à combien ?

Le Parti conservateur n’avait pas de candidat en 2018. Le parti d’Éric Duhaime, qui sera représenté par la comédienne Anne Casabonne, trouvera donc certainement matière à se réjouir, quel que soit le résultat, selon Thierry Giasson : « C’est certain que M. Duhaime va dire : “ regardez, on n’était même pas ici et on présente une première candidate dans l’histoire du parti et on vient chercher 15 % ou 8 % ou 9 % ”. »

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Le chef conservateur Éric Duhaime et Anna Casabonne

Faudra-t-il voir le résultat du PCQ comme un baromètre de ce qui est à venir ? « C’est une bonne question, répond M. Giasson. Je suis très curieux de voir ce qui va se passer par rapport au Parti conservateur dans Marie-Victorin. Ça va peut-être être indicatif d’une progression et de la capacité de cette organisation – on parle beaucoup des 57 000 nouveaux membres du Parti conservateur – est-ce que ça se transpose en force de frappe sur le terrain ? Est-ce que ça se transpose en appuis à l’urne le jour du vote ? Est-ce que ça se transpose en équipe qui peut faire sortir le vote ? »

Son collègue Éric Montigny se pose les mêmes questions : « C’est le premier test pour le Parti conservateur du Québec et je dirais – je suis passé rapidement dans la circonscription et j’ai vu l’affichage – qu’il mène une vraie campagne. Il y a de l’affichage, ils ont présenté une candidate qui elle aussi jouit d’une certaine notoriété, pour le meilleur et pour le pire. Mais le défi pour des partis comme le Parti conservateur, un parti antisystème, c’est de faire sortir le vote, et ça, ce sera intéressant de comparer avec les sondages. »

Dans le rétroviseur de la CAQ

À ce sujet, huit sondages réalisés depuis le début de 2022 donnent au parti d’Éric Duhaime entre 9 % et 19 % des intentions de vote, à l’exception d’une enquête Mainstreet qui lui en accordait 24 %. En d’autres termes, tout résultat en deçà de 9 % pourrait être vu comme une difficulté à transporter des intentions de vote dans l’urne.

Mais c’est surtout la CAQ qui va surveiller de près le résultat conservateur, estime Alain Gagnon : « Si le Parti conservateur devait faire belle figure, ce serait assez inquiétant pour la Coalition avenir Québec. Ça voudrait aussi dire que la CAQ s’est trop éloignée de son programme politique, qui était plutôt de centre-droite et donc que le Parti conservateur est en mesure d’occuper un terrain qui était autrefois occupé par la Coalition avenir Québec. »

« C’est un peu l’espace qui a déjà été occupé par l’ADQ [Action démocratique du Québec] et par la Coalition avenir Québec, qui a été libéré et la droite serait plus facilement mobilisable par les conservateurs d’Éric Duhaime. Un résultat fort serait un indice qu’il y a des régions, par exemple la Beauce ou la région de Québec, qui pourraient être intéressées ou penser voter pour les conservateurs. »

Martine Ouellet à la chasse aux verts

Enfin, la présence pour la première fois de Martine Ouellet, cheffe de la nouvelle formation qu’elle a créée, Climat Québec, intrigue : « C’est une fille de la Rive-Sud et elle a un enracinement dans la circonscription, rappelle Éric Montigny. Ce qui va être intéressant de voir dans son cas, c’est si elle parvient à récupérer un peu le courant du Parti vert, qui est en déroute au Québec. Il y a une ouverture pour elle. Est-ce qu’elle va être capable de mobiliser, de capturer le courant vert qui existe dans la population avec une option plus crédible que le Parti vert ? Ça va être intéressant à suivre. »

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La cheffe de Climat Québec, Martine Ouellet

« Je ne pense pas que Mme Ouellet ait l’organisation, la structure pour pouvoir remporter une élection partielle et peut-être même de faire une différence dans cette élection, avance de son côté Thierry Giasson. Mais elle a une présence locale assez importante. Elle est connue, elle a des faits d’armes. Elle a été ministre dans un gouvernement. Donc, elle bénéficie d’une reconnaissance ou d’une crédibilité professionnelle. »

En même temps, dit-il, « elle a eu une carrière en dents de scie et là, on essaie de comprendre, chez certains électeurs, où est-ce qu’elle s’en va, qu’est-ce qu’elle veut faire et, encore une fois : est-ce qu’elle a de la place dans cette campagne-là ? »

Alain Gagnon, pour sa part, ne lui donne pas grand chance : « Mme Ouellet, je ne pense pas qu’elle va récolter beaucoup. Par ailleurs, ça permet à un point de vue additionnel d’être exprimé et après, elle devra elle-même tirer des conclusions du peu de soutien populaire qu’elle va probablement recevoir. »

Tirer des conclusions comme dans tirer sa révérence ? Éric Montigny ne le croit pas : « Son parcours ne nous a pas habitués à la voir lancer la serviette. Ce que je présume, c’est qu’elle s’attend d’avoir une performance honorable. Mais en même temps, peu importe le résultat, si elle est résolue à construire cette voie politique plus verte, je ne pense pas qu’elle va se démobiliser. »

Au final, il lance toutefois cette mise en garde sur les éventuelles conclusions qui pourraient être tirées de ce scrutin : « Dans ce cas-ci, l’élection partielle est tout près de l’élection générale et c’est intéressant de voir ce qui va en sortir, mais ça demeure une élection partielle et ça ne veut pas dire que le résultat aura une influence majeure sur l’élection générale. »

À bon entendeur, salut : il serait en effet extrêmement audacieux, voire imprudent, de faire des prédictions en vue de l’élection générale du 3 octobre prochain sur la base du résultat dans Marie-Victorin, lundi.