(Québec) Pour aller de l’avant avec le projet de tramway, le maire de Québec devra obtenir l’appui d’une « majorité » de la population, annonce le gouvernement Legault. Le financement du projet de transport collectif sera conditionnel à son « acceptabilité sociale ».

« Minimalement, c’est 50 % + 1. C’est au moins une majorité de citoyens », a affirmé le ministre de l’Énergie et député de Charlesbourg, Jonatan Julien, en mêlée de presse mardi. Le premier ministre François Legault a affirmé un peu plus tôt en journée que son gouvernement allait « demander au maire de Québec […] de s’assurer qu’il y a une acceptabilité sociale qui est respectée ». « Est-ce que quelqu’un peut être contre ça, s’assurer qu’un projet aussi important de la Ville de Québec soit appuyé par la population ? », a-t-il dit.

Le décret publié mercredi est très important : il permettra à la Ville de Québec d’aller de l’avant avec les appels de propositions pour la fourniture du matériel roulant, et la construction des infrastructures du réseau. Selon nos sources, il est clair qu’il contiendra une clause exigeant de la Ville de Québec une démonstration qu’il y a acceptabilité sociale, mais le document ne devrait pas préciser expressément quelle sera la barre à atteindre.

Le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard, serait très étonné de voir dans ce document une formule « stricte » avec de « vraies incidences légales et administratives ». « Ça serait un précédent beaucoup trop dangereux pour un paquet d’autres décrets qui se prennent au Québec pour un paquet de projets qui ont parfois une acceptabilité sociale pas très forte », a-t-il dit.

« Comment le mesurer ? Sur la population de Québec ? De la région ? De tout le Québec ? Ce n’est pas mesurable. Ce n’est pas fonctionnel en vrai. J’imagine qu’on va demander au maire de faire un effort, mais je serais étonné qu’il y ait un test dans le décret », a-t-il ajouté. De toute façon, en s’engageant à lancer des appels de propositions, le gouvernement du Québec sait très bien qu’il coûterait très cher de tout abandonner dans quelques mois parce qu’il estime qu’il n’y a pas d’acceptabilité, a-t-il ajouté.

Troisième lien

Est-ce que le REM de l’Est, l’élargissement d’autoroutes ou l’excavation du troisième lien devront répondre à des critères d’acceptabilité sociale ?, s’est demandé de son côté Marc-André Viau, d’Équiterre. « On n’a jamais entendu parler de ça, le 50 %. Ça semble être plus une ligne de comm. Si c’est ça la nouvelle règle, ça doit être appliqué à tous les projets autoroutiers », a-t-il lancé.

Il y a deux semaines, un premier conflit a éclaté entre le maire de Québec, Bruno Marchand, et le gouvernement de la Coalition avenir Québec, qui demandait l’abandon d’un tronçon de 500 mètres de rue partagée sur le boulevard René-Lévesque, au cœur de la ville. Le ministre des Transports, François Bonnardel, soulignait que son gouvernement était le principal bailleur de fonds du projet de près de 4 milliards, et qu’il pouvait intervenir même s’il s’agissait d’une compétence municipale. « Le concept de rue partagée m’inquiète beaucoup. La vision régionale, le maire de la Ville de Québec semble l’avoir oubliée », disait-il.

Mais c’est surtout une déclaration de son collègue ministre Éric Caire qui a retenu l’attention : « Le maire de Québec dit qu’il ne veut pas faire une guerre à l’automobile, alors qu’il le prouve et qu’il arrête de polluer l’existence des conducteurs avec des projets comme ça », avait-il affirmé avant de se rétracter.

Mardi, M. Legault a laissé tomber cette exigence : « L’aménagement puis le détail du tramway de Québec, c’est la responsabilité de la Ville de Québec », a dit le premier ministre. « Ça m’arrive de changer d’idée », a-t-il dit. Il a cependant ajouté que la responsabilité des élus caquistes de Québec est « d’écouter les citoyens », d’où la demande d’acceptabilité sociale.

MM. Julien et Legault n’ont toutefois pas souhaité dire de quelle façon le maire Bruno Marchand devait démontrer que le projet est appuyé par la population. Un sondage ? Un référendum ? « Ce sera au maire de Québec à décider comment il fait ça. […] Je pense qu’il y a bien des façons de s’assurer qu’il y a un appui », a dit le premier ministre.

Déjà de l’acceptabilité

Pour les partis de l’opposition, il s’agit d’une autre démonstration que le gouvernement ne s’intéresse pas à l’environnement. Gabriel Nadeau-Dubois, qui participait à un rassemblement pro-tramway à Québec, a partagé une photo d’une salle comble sur les réseaux sociaux. « La salle où se tient l’assemblée en faveur du tramway organisée par les députés Sol Zanetti et Catherine Dorion déborde. Voici votre acceptabilité sociale, M. Legault », a-t-il écrit. En journée, il soulignait que le projet avait l’appui « de la communauté d’affaires et des groupes écologistes ». « À un moment donné, qu’est-ce qui manque à François Legault pour qu’il considère que l’acceptabilité sociale est acquise ? », a-t-il dénoncé

Le député péquiste Pascal Bérubé a lui aussi dénoncé la décision : « Est-ce qu’il veut imposer un référendum sur une question comme celle-ci alors qu’il ne le fait nulle part au Québec ? Je soupçonne le gouvernement que ça soit de vouloir utiliser une mesure dilatoire pour ne pas avoir à gérer ça en campagne électorale. »

La cheffe libérale Dominique Anglade rappelle de son côté que « les citoyens de Québec se sont prononcés à 70 %, ils ont voté pour des candidats à la mairie qui étaient en faveur du tramway ». « Le message est très clair de la population de Québec », a-t-elle dit.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard

Plus de nickel dans l’air

Le tramway n’est pas la seule source de conflit entre la Ville de Québec et le gouvernement Legault, qui vient d’autoriser un règlement permettant une concentration plus élevée de nickel dans l’air, contre l’avis du maire Bruno Marchand.

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, s’est finalement rangé du côté de l’industrie, contre l’avis de 18 directeurs régionaux de santé publique du Québec qui se sont opposés publiquement à l’augmentation de la norme de nickel dans l’air ambiant.

La limite pour les particules dans l’air passera de 14 à 70 nanogrammes par mètre cube (ng/m⁠3) quotidiennement.

« La décision du ministre est contraire à la position que le conseil municipal a adoptée de façon unanime le 7 février. Je ne peux certainement pas m’en réjouir », a déploré le maire de Québec, Bruno Marchand, dans une déclaration écrite.

« Je rappelle que nous avons fait la démonstration qu’il y a des dépassements fréquents de la norme actuelle et qu’elles ne sont pourtant jamais sanctionnées. Le ministère de l’Environnement doit maintenant expliquer aux citoyens qui sont inquiets pour leur santé de quelle façon il va faire respecter la nouvelle norme », a-t-il ajouté.

De son côté, le gouvernement Legault défend cette décision en affirmant qu’elle s’inscrit dans une volonté de lutte contre les changements climatiques. « En tant que ministre de l’Environnement, je veux qu’on développe la filière batteries. Si on veut électrifier le transport, il faut des batteries. Si on veut des batteries, il faut du nickel », avait expliqué Benoit Charette en février.