Marguerite Blais n’a vraisemblablement pas tout dit à la coroner « pour protéger la CAQ », accuse le Parti québécois. Québec solidaire y voit une tentative du gouvernement Legault « d’instrumentaliser » l’enquête de Géhane Kamel « pour se laver les mains » et « se déresponsabiliser » de sa gestion de la crise dans les CHSLD.

Les nouvelles révélations voulant que la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, et sa cheffe de cabinet, Pascale Fréchette, se soient évertuées à tirer la sonnette d’alarme sur la situation dans les CHSLD lors de la première vague de la pandémie sont une « contradiction incroyable » avec le témoignage livré par l’élue lors de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel, en janvier, selon les oppositions.

Dans un livre à paraître ce mardi aux Éditions du Boréal, qui porte sur l’hécatombe de la COVID-19 dans les CHSLD, Katia Gagnon, Ariane Lacoursière et Gabrielle Duchaine, trois journalistes de La Presse, révèlent des entrevues inédites avec Mme Blais et Mme Fréchette. Leurs versions viennent jeter un nouvel éclairage sur la tragédie de l’intérieur même de la cellule de crise.

Lisez « Ce que Marguerite Blais n’a pas dit à la coroner »

« [Marguerite Blais] est allée dire le contraire sous serment à la coroner pour protéger la CAQ. Moi, j’aurais honte […], je démissionnerais », lance sans détour la députée du Parti québécois Lorraine Richard.

En entrevue pour le livre, Mme Blais a confirmé les multiples interventions, notamment pour arrêter le transfert de patients des hôpitaux vers les CHSLD, qu’elle-même et sa cheffe de cabinet ont faites à l’intérieur même de la cellule de crise : « On hurle, on hurle, Pascale et moi. On hurle tout le temps. » Or, devant la coroner, elle a plutôt affirmé que les CHSLD n’étaient sur le radar de personne au printemps 2020.

Au bout du fil, la députée Lorraine Richard ne décolère pas. « Tout ça incombe à une personne. Ça incombe à François Legault qui a nommé Marguerite Blais ministre des Aînés. Une ministre qui n’a pas d’influence, qui n’a pas de pouvoirs. Tant qu’à ça, tu n’en nommes pas de ministre », s’insurge l’élue de Duplessis.

Par ailleurs, elle n’en revient toujours pas de la déclaration de l’ex-sous-ministre à la Santé, Yvan Gendron, qui aurait répondu à M. Legault que les CHSLD « avaient l’habitude » des épidémies, évoquant la gastro, dès le 9 mars 2020. « La pandémie et la gastro, me semble que ce n’est pas la même affaire. Au lieu d’avoir des pousseux de crayons à Québec, il devrait y avoir du monde sur le terrain capable de donner l’heure juste », a pesté Mme Richard.

Cellule de crise : « Un lieu de débat », répond Blais

Dans une déclaration transmise à La Presse lundi, Mme Blais se défend d’avoir livré des versions contradictoires. « La cellule de crise était un lieu de débat et c’est tout à fait normal dans ce genre de situation. Dans toutes mes actions, j’ai toujours été guidée par le bien-être des aînés », écrit-elle.

Pour ma part, j’ai répondu à toutes les questions qui m’ont été posées par la coroner. Je suis même sortie de mon congé de maladie pour témoigner devant elle. Je me suis pleinement livrée à l’exercice, et ce, par respect pour les aînés décédés et leurs proches.

Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés

La ministre ajoute : « Personne ne peut réécrire l’histoire. Notre gouvernement a pris les décisions qui s’imposaient, selon les informations et les connaissances que nous avions à l’époque. Toutes les décisions que nous avons prises, c’était pour protéger et sauver des vies. »

La ministre Blais doit assister ce mardi au dévoilement du Plan santé du ministre Christian Dubé à Montréal et ensuite participer à la période des questions au Salon bleu, à Québec. Cependant, son cabinet a confirmé lundi qu’elle avait subi un test de dépistage de la COVID-19 à titre préventif puisqu’elle ressentait des symptômes. Elle est donc en attente du résultat.

Pour une enquête publique

L’opposition a réclamé à l’unisson lundi le déclenchement d’une enquête publique et indépendante sur la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault, ce que Québec a refusé à maintes reprises déjà.

« Quand on lit [les révélations du livre], on se dit que la CAQ a instrumentalisé l’enquête publique de la coroner pour se laver les mains, se déresponsabiliser et faire une opération de comm », s’insurge le député Sol Zanetti. L’élu de Québec solidaire mentionne du même souffle l’entrevue que Mme Blais a accordée à l’émission Enquête, où elle a affirmé ne pas s’être sentie écoutée par le gouvernement.

« Sur trois récits, il y en a deux qui disent la même affaire, et ce n’est pas la version que le gouvernement aime le plus, ce n’est pas la version qu’il a mise en scène. Ça me dérange profondément et c’est un argument de plus, comme s’il en fallait un de plus, pour avoir une enquête publique sur l’ensemble de la gestion de la pandémie », illustre le solidaire, porte-parole en matière d’aînés.

La députée libérale Monique Sauvé affirme pour sa part être « tombée en bas de sa chaise » dimanche lors de la révélation des extraits. « Au fur et à mesure qu’on avance, que ce soit avec des reportages ou des rapports, on est mêlés plus que jamais. L’enquête publique indépendante, encore une fois, on la demande. »

Selon Mme Sauvé, Mme Blais ne peut être « porteuse de deux vérités qui se contredisent ».

« Si c’est ça, la vérité [qu’elle a hurlée], bien je ne peux pas m’empêcher de dire que ça veut dire qu’elle a menti à la coroner. Et si elle a menti devant la coroner, c’est très grave. Elle l’a fait sous serment », a déploré Monique Sauvé en entrevue.