(Québec) Les partis de l’opposition exigent, d’ici au mois de mai, un rapport complet et transparent sur les contrats de gré à gré accordés depuis deux ans par l’État québécois en vertu de l’urgence sanitaire. Québec rétorque qu’il respectera la loi – peu restrictive – et que ces contrats sont déjà publics.

« Ce n’est pas parce que c’est fastidieux que ce n’est pas public », a lancé en chambre à la fin du mois de février la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. Elle répondait aux questions insistantes des partis de l’opposition sur des centaines, voire des milliers de contrats accordés sans appel d’offres depuis mars 2020, lorsque le gouvernement du Québec a décrété l’État d’urgence sanitaire.

Le gouvernement Legault doit mettre fin à l’état d’urgence sanitaire dans les prochaines semaines. En levant cette mesure d’exception conservée pendant toute la durée de la pandémie, Québec devra rendre des comptes, notamment sur les contrats de gré à gré qu’il a pu signer grâce à ces pouvoirs.

Québec se défend de manquer de transparence. Les contrats « sont tous publiés sur le SEAO, qui est le système électronique d’appel d’offres du gouvernement », a expliqué Mme LeBel. Mais pour faire une compilation, il faut ouvrir un à un des milliers de contrats de gré à gré. À l’intérieur de ces contrats, on précise alors l’utilisation ou non de l’urgence sanitaire.

Québec s’engage à respecter la Loi sur la santé publique, qui prévoit la publication d’un « rapport d’évènement ». « On pourra faire un beau condensé où tout le monde pourra voir sans avoir à faire des recherches sur le SEAO », a précisé Mme LeBel. Le Conseil du trésor sera responsable de colliger les contrats, et le ministère de la Santé sera chargé de rédiger le rapport.

Méfiance de l’opposition

Les partis de l’opposition sont sceptiques. Le député libéral Monsef Derraji affirme qu’il a une liste de « 21 pages de contrats ». « Si on veut, en tant que député, jouer notre rôle […], nous avons besoin de la liste de l’ensemble de ces contrats, et le pourquoi ». Il a cité en exemple une entreprise qui a obtenu des contrats de près de 55 millions pour fournir des blouses et des masques. « Vous savez, cette entreprise au Mexique, elle faisait quoi ? Bien, c’est un centre d’appels sur rue dans la ville de Mexico », a-t-il dit.

On tente de nous faire la démonstration que les pouvoirs extraordinaires ont été utilisés de façon parcimonieuse, mais le gouvernement n’a rien déposé pour nous permettre d’en juger.

Joël Arseneau, député péquiste

Le Parti libéral demandait le dépôt d’un tel rapport le 3 mai, ce qui a été refusé par le gouvernement. Le PQ a proposé le 31, mais le gouvernement ne s’est pas commis.

Une loi à réformer

Au centre de ce problème de reddition de comptes : la Loi sur la santé publique, qui n’a pas été conçue pour être utilisée sans interruption pendant deux ans, dit Martine Valois, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal. « Pendant deux ans, on a fait adopter des lois, les sessions parlementaires ont continué. Et pourtant, l’urgence a été maintenue alors que l’esprit de la loi, c’est que c’est tellement urgent que ça nécessite des mesures immédiates », souligne-t-elle.

Et la reddition prévue dans la loi n’est pas très exigeante : le ministre de la Santé doit publier un rapport d’évènement dans les trois mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Si l’Assemblée ne siège pas, il peut attendre la reprise des travaux. En raison de cette latitude, la députée du Parti conservateur Claire Samson craignait qu’il ne soit pas déposé avant les élections générales de 2022, mais le gouvernement s’y est finalement engagé.

Quant au contenu, le rapport doit simplement « préciser la nature et la cause de la menace à la santé de la population », soit la pandémie de COVID-19, la durée de l’état d’urgence et les « mesures d’intervention mises en œuvre et les pouvoirs exercés ».

« Dans la loi fédérale sur les mesures d’urgence, c’est beaucoup plus explicite, il y a une commission parlementaire. Au Québec, on comprend qu’il n’y a pas d’obligation », souligne le constitutionnaliste Patrick Taillon, professeur à l’Université Laval.

Si le gouvernement veut la jouer minimaliste, la loi lui offre une très grande marge de manœuvre, mais ça serait dommage considérant la durée de la crise. Après deux ans, ce bilan devrait être significatif.

Patrick Taillon, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval

Même son de cloche chez son collègue Louis-Philippe Lampron, spécialiste en droit public. « Cet article, c’est vraiment quelque chose de très minimal. S’ils se collent à la lettre de la loi, ils n’ont pas grand-chose à mettre dedans », souligne-t-il. Le gouvernement pourrait tout simplement faire un copié-collé des décrets adoptés, et une liste des pouvoirs utilisés par exemple. On est loin d’un « véritable bilan ».

Pour les partis de l’opposition et les experts, c’est une autre preuve que la loi devra être réformée. « Elle n’a pas été réfléchie pour une crise aussi longue », souligne Joël Arseneau. Les pouvoirs sont utilisés « au bon vouloir du gouvernement, de l’exécutif », et c’est ce même gouvernement « qui rédigera son propre rapport sur sa gestion de la pandémie et des contrats », ajoute-t-il.