Le commissaire aux langues officielles pourra désormais infliger des pénalités allant jusqu’à 25 000 $ à Air Canada, prévoit le projet de loi du gouvernement Trudeau déposé mardi à Ottawa. De nouveaux droits de travailler et de consommer en français dans les entreprises privées de compétence fédérale s’appliqueront aussi au Québec, avant d’être étendus à des minorités francophones des autres provinces.

« Je suis très fière de présenter une nouvelle mouture du projet de loi […] avec plus de mordant », a déclaré la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, en conférence de presse mardi midi à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse.

Son projet de loi C-13, déposé quelques heures auparavant à la Chambre des communes, renforce le projet C-32 de sa prédécesseure Mélanie Joly. Ce dernier, présenté en juin dernier, est mort au feuilleton avec le déclenchement des élections fédérales.

Le renforcement le plus remarqué est le nouveau pouvoir donné au commissaire aux langues officielles d’infliger des « sanctions administratives pécuniaires » aux entreprises Air Canada, VIA Rail et Marine Atlantic, ainsi qu’à toutes les autorités aéroportuaires.

Le projet de juin 2021 prévoyait seulement de permettre au commissaire de « conclure des accords de conformité et de rendre, dans certains cas, des ordonnances ».

C’était avant le tollé provoqué, début novembre, par le grand patron d’Air Canada, Michael Rousseau, à la suite d’un discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

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Le grand patron d’Air Canada, Michael Rousseau, lors de son discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 3 novembre dernier

Son discours, prononcé presque entièrement en anglais, et sa satisfaction, exprimée devant les journalistes, d’avoir pu vivre 14 ans dans la métropole sans avoir à apprendre le français, avaient suscité un déluge de critiques et de plaintes.

« Le cas Air Canada permet de démontrer l’importance de modifier et renforcer rapidement les pouvoirs du commissaire », pouvait-on lire dans une note de breffage préparée en vue de la rencontre du commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, avec la ministre Petitpas Taylor, le 29 novembre.

Les demandes du commissaire et des Canadiens ont mené à l’ajout de sanctions, a confirmé la ministre mardi.

Air Canada fait l’objet de 85 plaintes en moyenne par an pour non-respect des droits des francophones. Interrogée sur l’effet réel de pénalités limitées à 25 000 $, Mme Petitpas Taylor a fait valoir que « beaucoup d’autres outils », dont des pouvoirs de médiation et d’ordonnance, avaient aussi été ajoutés.

« Ce n’est pas une amende », a par ailleurs souligné une haute fonctionnaire fédérale lors d’une séance d’information à l’intention des médias. « Ça ne se veut pas punitif, c’est pour encourager la conformité. »

Francophones hors Québec

« Je veux m’assurer que les francophones vont avoir plus de droits pour travailler et se faire servir en français, non seulement au Québec, mais dans les régions à forte présence francophone », a par ailleurs déclaré la ministre, qui se décrit comme une « fière Acadienne ».

Ces nouveaux droits, que les entreprises privées de compétence fédérale auront l’obligation de respecter, étaient déjà prévus dans la version de juin. Ils font l’objet d’un projet de loi distinct qui sera mis en vigueur par décret « pour nous laisser suffisamment le temps de préparer les entreprises », a expliqué une fonctionnaire fédérale. Les termes « régions à forte présence francophone » et « consommateurs » restent d’ailleurs à définir.

Le projet de loi donne un nouveau pouvoir au Conseil du Trésor, qui aura l’obligation d’analyser les conséquences des décisions gouvernementales sur les minorités linguistiques.

Il obligera aussi le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à inclure des objectifs, cibles et indicateurs dans sa politique d’immigration francophone.

L’immigration est « la seule manière » de contrecarrer la perte de poids démographique des francophones hors Québec, a affirmé la ministre Petitpas Taylor.

Des réserves

« Les mesures proposées […] devraient donner un second souffle aux efforts déployés », s’est réjoui le commissaire aux langues officielles dans un communiqué. « Certaines questions linguistiques gagneraient à être discutées davantage », a toutefois noté Raymond Théberge.

Même s’il trouve louable qu’Ottawa veuille protéger et promouvoir le français au Canada, le chef du Bloc québécois demande d’exclure le Québec du projet de loi, rapporte La Presse Canadienne.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Le Québec est tout à fait capable non seulement de protéger et de promouvoir le français, mais il suffit que le fédéral enlève ses grosses pattes de là et arrête, à grands coups de Cour suprême, de nous nuire.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

« La faiblesse première du projet de loi est que la loi ne possède pas d’obligation de résultat. Et en plus, celle-ci est administrée par quatre entités. Malheureusement, nous n’arrêterons pas le déclin du français », a déploré pour sa part le député Joël Godin, responsable des langues officielles au Parti conservateur.

Le projet de loi « inclut des gains substantiels », mais il faudra en retravailler certains éléments « avant de se dire mission accomplie », a commenté la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.