(Ottawa) Le premier ministre a annulé mercredi le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence, moins de 48 heures après que la Chambre des communes l’eut approuvé. Le débat avait toujours lieu au Sénat au moment de l’annonce, mais il a rapidement été ajourné et la motion du gouvernement a été retirée avant la fin de la conférence de presse.

« Aujourd’hui, après avoir soigneusement examiné la situation, on constate qu’on n’est plus en situation d’urgence, a déclaré Justin Trudeau en fin d’après-midi mercredi. C’est pourquoi le gouvernement fédéral met fin à la Loi sur les mesures d’urgence, a-t-il ajouté. On juge maintenant que les lois en place sont suffisantes pour assurer la sécurité de la population. »

La fin de l’état d’urgence doit entrer en vigueur après la signature d’une proclamation par la gouverneure générale, ce qui devait être fait en fin de journée mercredi.

M. Trudeau en a fait l’annonce entouré des quatre ministres de la cellule de crise. Un peu plus tôt dans la journée, le premier ministre avait justement présidé une réunion du Groupe d’intervention en cas d’incident pour discuter des barrages illégaux.

Le premier ministre avait indiqué à plusieurs reprises au cours de la dernière semaine que le recours à cette loi, jamais utilisée depuis son adoption en 1988, allait être abandonné dès qu’il ne serait plus nécessaire. La plupart des manifestants du « convoi de la liberté » avaient quitté Ottawa dimanche après une vaste opération policière pour les déloger.

Le gouvernement se défend

Le gouvernement abandonne donc les pouvoirs extraordinaires accordés dans le cadre de l’état d’urgence, comme celui qui permettait aux institutions financières de geler les comptes bancaires des manifestants sans contrôle judiciaire. Environ 200 comptes totalisant 7,8 millions ont été touchés.

« Le processus pour dégeler les comptes a déjà commencé, a indiqué la ministre des Finances, Chrystia Freeland. Les comptes ont été gelés pour convaincre les gens qui faisaient partie des occupations et blocages illégaux de partir. »

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Chrystia Freeland, ministre des Finances

Des camionneurs sont toujours regroupés en périphérie d’Ottawa, mais M. Trudeau a assuré que les forces de l’ordre ont les outils nécessaires pour réagir s’ils décidaient de revenir bloquer le centre-ville.

N’est-ce pas là la preuve que la déclaration d’état d’urgence national était inutile ? « Au contraire, a-t-il répondu à la question de La Presse. L’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence a encouragé certaines personnes de quitter et a permis aux forces de l’ordre de pouvoir en finir avec ces occupations. »

Réactions de l’opposition

Ces raisons ne convainquent toujours pas les conservateurs. « Rien n’a changé entre lundi et aujourd’hui à part un déluge d’inquiétudes de la part de citoyens, une mauvaise presse et le ridicule sur la scène internationale », a fait valoir la cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada, Candice Bergen, par communiqué. Elle a demandé à nouveau la fin de la vaccination obligatoire pour les camionneurs et les fonctionnaires fédéraux ainsi que la fin des mesures sanitaires.

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Candice Bergen, cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada

Le Bloc québécois s’est réjoui de la levée de l’état d’urgence. « C’est toutefois d’un rare cynisme de la part du premier ministre, moins de 44 heures après avoir imposé un vote mettant en jeu la chute du gouvernement, a commenté son chef, Yves-François Blanchet. Il demeure de ce recours un autre effet grave : la création d’un premier précédent en 34 ans avec cette invocation historique de la Loi sur les mesures d’urgence. »

Il a réclamé à nouveau la tenue d’une enquête publique indépendante.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

La Chambre des communes avait approuvé lundi l’état d’urgence décrété pour mettre fin à la manifestation à Ottawa. L’appui des néo-démocrates avait permis d’adopter la motion présentée par les libéraux. Les conservateurs et les bloquistes avaient voté contre.

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NDP), Jagmeet Singh, s’est réjoui de voir que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence a été révoqué « dès qu’elle n’était plus nécessaire ». Il a reconnu qu’il s’agissait d’un « moment sombre de l’histoire » du pays.

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

L’utilisation de la Loi était une admission que tous les niveaux de gouvernement avaient collectivement échoué à protéger les Canadiennes et Canadiens.

Jagmeet Singh, chef du NDP, dans un communiqué

M. Singh demande maintenant que le gouvernement s’attaque au « deux poids, deux mesures » dans l’application de la loi envers les manifestants qui ont occupé Ottawa et le traitement réservé par les forces de l’ordre aux Autochtones et aux personnes racisées. Il réclame également un plan d’action face « à la montée de l’extrémisme et de la haine ».

L’Association canadienne des libertés civiles a salué la décision du gouvernement, mais maintient pour l’instant sa contestation judiciaire.

Le Sénat inondé de courriels

Les sénateurs recevaient des courriels par milliers depuis la semaine dernière pour leur demander de voter contre la motion sur l’état d’urgence. « Ça rentrait aux cinq minutes », a affirmé le sénateur conservateur Claude Carignan.

La motion, qui était débattue au Sénat depuis mardi, a soulevé des doutes chez de nombreux sénateurs. Certains, comme M. Carignan, estimaient que les corps policiers avaient déjà tous les outils dont ils avaient besoin pour réagir.

D’autres, comme le sénateur du Groupe progressiste Pierre Dalphond, considéraient que le gel des comptes bancaires des manifestants était allé trop loin.

Un comité composé de députés et de sénateurs doit être mis sur pied pour examiner les circonstances qui ont mené à la déclaration de l’état d’urgence.

Une enquête menée par le gouvernement devra aussi être déclenchée dans les 60 jours suivant son abrogation. Le premier ministre Trudeau a suggéré mercredi qu’elle porte sur les activités de la police, « l’influence, le financement et la désinformation » d’ici ou d’ailleurs « qui ont soutenu les barrages illégaux ».

Avec La Presse Canadienne