(Ottawa) Maintenant que les policiers ont largement repris le contrôle des rues d’Ottawa, la Loi sur les mesures d’urgence est-elle encore nécessaire ? À en croire ce qui s’est dit en Chambre dimanche, les libéraux et les néo-démocrates estiment toujours qu’elle l’est.

Les élus ont entrepris dimanche la troisième journée du débat sur la motion de ratification de la déclaration de crise. Ceux qui y sont en personne ont pu constater de visu que l’intervention policière a porté ses fruits, les rues du centre-ville ayant été presque entièrement libérées des véhicules qui les bloquaient depuis le 28 janvier dernier.

Le gouvernement Trudeau a besoin de l’appui du Nouveau Parti démocratique (NPD) afin que la mesure soit adoptée à la Chambre des communes. Le Parti conservateur et le Bloc québécois s’y opposent.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a toutefois averti la semaine passée qu’il pourrait retirer son soutien s’il voyait que le gouvernement abusait de son pouvoir.

Sa députée Heather McPherson a répété la même chose dimanche matin.

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Heather McPherson, députée néo-démocrate

« Nous n’hésiterons pas à le faire », a-t-elle lancé en Chambre, assurant que ce n’était pas de gaieté de cœur que sa formation donnerait son sceau d’approbation à une loi qui n’a jamais été utilisée depuis son adoption, en 1988.

« En tant que parlementaires, nous devons nous assurer que cela ne se reproduise jamais […]. Les échecs des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral nous placent dans une position où nous sommes contraints d’avoir recours à des mesures extraordinaires pour aller de l’avant », a regretté l’élue de l’Alberta.

Le NPD critiqué

La semaine dernière, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, était allé jusqu’à solliciter une rencontre avec Jagmeet Singh afin de le rallier à sa position en défaveur du recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

« Le NPD a dit qu’il allait peut-être changer d’avis et voter contre [la loi] si jamais l’opération policière était terminée avant le vote de lundi, alors il faudra voir s’ils changent leur fusil d’épaule », a souligné la députée bloquiste Kristina Michaud, dimanche, en entrevue.

L’élue a cependant noté qu’il était « dur de faire le bilan d’une opération qui est toujours en cours, d’évaluer si cette loi-là a vraiment été nécessaire », en rappelant que les forces policières sont parvenues à dégager le pont Ambassador, qui relie Windsor et Detroit, avant l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence.

Le chef par intérim du Service de police d’Ottawa (SPO), Steve Bell, a soutenu qu’elle avait été utile pour l’intervention policière, à laquelle ont participé des agents d’un peu partout au pays, notamment ceux de la Sûreté du Québec.

Quant au député conservateur John Barlow, il a raillé les néo-démocrates. « J’aime le fait que le NPD essaie de se sortir du coin dans lequel il s’est peinturé », a-t-il dit, accusant le parti d’avoir voulu faire de ce dossier « un enjeu de suprématie blanche », a-t-il déclaré.

Dans les banquettes conservatrices, on pilonne autant les libéraux que le NPD.

Les néo-démocrates, dont l’appui permettrait l’adoption de la motion, ont « complètement abandonné les principes du parti » de Tommy Douglas, qui avait voté contre la Loi sur les mesures de guerre – l’ancêtre de la Loi sur les mesures d’urgence – en 1970, a dénoncé, entre autres, le député Mike Lake.

Son collègue Ed Fast a toutefois fait un amalgame entre les deux, en dépeignant au passage les manifestants comme des gens pacifiques, selon son expérience.

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Ed Fast, député conservateur

Je ne me suis jamais senti intimidé. Oui, il y avait des personnes qui parlaient fort, certaines avec des opinions tranchées. Mais est-ce que ça prenait la Loi sur les mesures d’urgence, cette loi massue avec des mesures qui ont des airs de mesures de guerre, pour régler le problème ? Non.

Ed Fast, député conservateur

Le député libéral Peter Fragiskatos a ensuite tenu à nuancer.

« C’est une façon étrange de voir les choses que d’affirmer que la loi accorde des pouvoirs de style martial au gouvernement. C’est aussi la mauvaise façon de le voir, car la loi est sujette à la Charte, elle est limitée dans le temps et elle est concentrée géographiquement », a-t-il rétorqué.

Le vote sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence aura lieu lundi soir, à 20 h.

Si elle est avalisée par les députés, elle se rendra au Sénat.

Quelques pouvoirs décrétés

Le gouvernement a publié deux décrets, mardi dernier, après avoir proclamé l’état d’urgence. L’un est de nature plus opérationnelle, tandis que l’autre concerne le volet économique de la crise – des fonds venant de l’étranger auraient donné un élan au convoi. Le premier interdit notamment aux étrangers et aux mineurs de participer à des rassemblements jugés illégaux, et il oblige « toute personne » à fournir aux ministres de la Sécurité publique, de la Protection civile et au commissaire de la GRC toutes les ressources requises. Le second exige entre autres des institutions bancaires qu’elles gèlent les comptes bancaires appartenant à des gens qui participent au mouvement ou le soutiennent, et que les plateformes de sociofinancement rapportent toute transaction importante ou suspecte au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

En savoir plus
  • 30 jours
    La Loi sur les mesures d’urgence, qui est en vigueur depuis lundi dernier, cesse de l’être après 30 jours. Mais si la Chambre des communes ou le Sénat ne votent pas en faveur de la motion de déclaration de l’état d’urgence, celle-ci est révoquée le jour même.
    source : Ministère de la Justice du Canada