(Ottawa) De premières fissures apparaissent dans les rangs des libéraux fédéraux sur la gestion de la crise sanitaire : le député de Louis-Hébert, Joël Lightbound, juge sévèrement le discours et les politiques du gouvernement Trudeau qui, selon lui, sèment inutilement la division au sein de la population. Une sortie qui a donné des munitions au Parti conservateur.

Considéré comme une étoile montante des libéraux de Justin Trudeau au Québec, M. Lightbound a critiqué notamment la décision du gouvernement fédéral d’imposer la vaccination obligatoire aux fonctionnaires fédéraux et aux camionneurs durant une conférence de presse sur la colline du Parlement, mardi.

« Il est plus que temps qu’on arrête de diviser la population, qu’on arrête de monter une partie de la population contre une autre », a-t-il déclaré. Il estime que le Parti libéral est passé radicalement d’une « approche positive et rassembleuse » à une approche « qui divise et qui stigmatise » avant et pendant la dernière campagne électorale.

Cette politisation de la pandémie risque de miner la confiance du public envers nos institutions de santé publique, et ce n’est pas un risque à prendre à la légère.

Joël Lightbound, député de Louis-Hébert

La gestion de la manifestation des camionneurs, qui paralyse le centre-ville d’Ottawa depuis une dizaine de jours, a aussi alimenté sa réflexion, selon nos informations. En après-midi, M. Lightbound a démissionné de son rôle de président du caucus du Québec, mais n’a pas été expulsé du caucus libéral.

D’entrée de jeu, l’élu de la région de Québec a condamné les dérapages, les signes haineux et racistes, ainsi que les groupes d’extrême droite qui ont participé à la manifestation au centre-ville d’Ottawa. Il a par la suite invité les contestataires à se relocaliser ailleurs et à faire la navette tous les jours pour venir se faire entendre devant le parlement.

M. Lightbound a affirmé que des centaines d’électeurs lui ont écrit en détresse, inquiétés par l’impact des restrictions sur la santé mentale des enfants, par le fait de perdre leur entreprise ou parce qu’ils ne peuvent plus travailler faute d’être vaccinés. « Je pense qu’il faut entendre ces inquiétudes et qu’il faut y répondre », a-t-il affirmé.

Ce n’est pas tout le monde qui peut gagner sa vie sur un MacBook au chalet.

Joël Lightbound, député libéral de Louis-Hébert

Il a dénoncé plusieurs dérapages liés aux mesures sanitaires imposées par le gouvernement québécois. Le député a également soutenu que la vaccination obligatoire des camionneurs allait à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et avait eu un impact sur le prix des denrées en épicerie.

M. Lightbound estime que le gouvernement fédéral devrait proposer une feuille de route pour la levée des restrictions, publier les études épidémiologiques sur lesquelles il s’appuie pour prendre ses décisions et le presse d’entamer « sans délai » des négociations avec les provinces pour l’augmentation des transferts en santé.

« Si on veut bâtir notre capacité pour qu’on puisse vivre pour de vrai avec le virus, à mon sens, ces discussions ne peuvent pas attendre », a-t-il dit.

Un cadeau pour les conservateurs

Dans les banquettes conservatrices, les députés ont fait leurs choux gras de cette prise de parole de Joël Lightbound.

La cheffe intérimaire de la formation, Candice Bergen, a brandi la dissension en ouverture de la période des questions, mardi. « Mettez fin aux mandats », a-t-elle tonné à l’intention du premier ministre Justin Trudeau, lui demandant si son « ego », sa « fierté » et son « déni » l’empêcheraient de faire volte-face.

« On se fie à la science », lui a notamment répondu son interlocuteur, accusant l’opposition de « jouer à des jeux politiques » avec l’enjeu de la vaccination – un reproche que n’a pas accepté le nouveau chef adjoint du parti, Luc Berthold, selon qui « la vérité a éclaté [mardi] matin » avec la sortie de Joël Lightbound.

Celle-ci était sur les lèvres de tous les conservateurs. Et après plusieurs journées passées sur la défensive, ils ont enfin pu passer à l’attaque. Tour à tour, les élus se sont levés pour fustiger la « petite politique » ainsi que le « discours de division » du premier ministre Trudeau.

« C’est un caucus divisé, c’est clair », a notamment raillé l’un d’entre eux lorsque le président de la Chambre, Anthony Rota, s’est levé pour faire un rappel à l’ordre, alors que les esprits s’échauffaient vers le milieu de la séance.

Le cabinet discret

Plusieurs ministres ont évité de parler aux journalistes à leur sortie du cabinet, mardi, mais quelques-uns ont tout de même commenté les propos de leur collègue. « La réalité, c’est que l’objectif numéro un du gouvernement, c’est de garder les gens en vie, a affirmé le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller. C’est l’évidence même. Ce n’est pas un débat politique. »

Serait-il temps d’abandonner la vaccination obligatoire pour les camionneurs qui traversent aux États-Unis ? « Ce n’est pas une décision qu’on va prendre pour des raisons politiques ou émotives, a répondu la ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau. Il faut prendre cette décision-là au bon moment, et on voit quand même des signes, d’après les rapports qu’on a, que cela va dans la bonne direction. »

Selon des informations obtenues par La Presse, M. Lightbound a confié à ses collègues du caucus libéral du Québec son profond malaise sur la question de la vaccination obligatoire voilà plusieurs semaines. Il a affirmé qu’il n’était pas le seul à l’éprouver.

Des ministres influents, comme le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, ont tenté de le convaincre du bien-fondé de la politique du gouvernement Trudeau en matière de vaccination obligatoire, mais sans succès.

Déjà, sur les réseaux sociaux, M. Lightbound affichait son malaise en republiant sur son compte Twitter des nouvelles sur les mesures de déconfinement annoncées par d’autres pays. Il a aussi republié des reportages faisant état des effets néfastes sur la santé mentale de la crise sanitaire qui dure depuis deux ans.