Le projet de production de pétrole à l’est de Terre-Neuve représente une décision déchirante pour le ministre fédéral de l’Environnement

(Ottawa ) Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, doit statuer sous peu sur un ambitieux projet de construction d’une nouvelle plateforme de forage pour la production de pétrole et de gaz dans la passe Flamande, à environ 500 kilomètres à l’est de Terre-Neuve, au moment même où le gouvernement Trudeau promet d’accélérer la lutte contre les changements climatiques et de serrer davantage la vis à l’industrie pétrolière au Canada.

Militant de longue date pour les causes environnementales avant son entrée en politique en 2019, M. Guilbeault est donc confronté à l’une des décisions les plus déchirantes depuis son arrivée au ministère de l’Environnement, il y a quatre mois.

Le projet d’exploitation Bay du Nord, qui est piloté par la société norvégienne Equinor, aurait une durée de vie d’environ 30 ans et permettrait d’extraire 1 milliard de barils de pétrole grâce à la construction d’une installation flottante dans l’océan Atlantique.

M. Guilbeault, dont l’arrivée à la tête du ministère de l’Environnement a suscité beaucoup d’espoir parmi les groupes environnementaux, est appelé à prendre une décision d’ici le 6 mars sur ce projet qui a déjà reçu la bénédiction de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) dans un rapport préliminaire publié en décembre 2020.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Une décision était attendue avant Noël, mais le ministre Guilbeault a demandé un délai supplémentaire de 90 jours, comme la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 l’autorise, afin de tenir compte du rapport de l’évaluation environnementale de l’AEIC et des commentaires des groupes intéressés.

Cette décision surviendra dans le contexte où le gouvernement du Québec a formellement décrété la semaine dernière la fin de l’exploitation et de la prospection de gisements de pétrole et de gaz sur son territoire. Québec a aussi prévu une somme de 100 millions de dollars pour indemniser l’industrie.

Au terme de son évaluation, l’AEIC a conclu que « le projet de forage exploratoire dans l’ouest de la passe Flamande n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants » dans la mesure où l’entreprise met en œuvre des mesures d’atténuation afin de protéger le poisson et son habitat, les mammifères marins et les tortues de mer, les oiseaux migrateurs et les pêches commerciales.

« L’Agence a pris en compte l’étude d’impact environnemental du promoteur ainsi que les réponses à ses demandes de renseignements ; elle a également examiné les commentaires reçus du public, des organismes gouvernementaux et des peuples autochtones, au cours de cette évaluation environnementale et des évaluations environnementales précédentes de projets de forage exploratoire au large de Terre-Neuve-et-Labrador. De plus, l’Agence a pris en compte les mesures qui seraient mises en œuvre pour atténuer les effets du projet, ainsi que les mesures de suivi (de surveillance) que le promoteur devra mettre en œuvre », peut-on lire dans le rapport.

Consultez le rapport

La crédibilité ou les sièges

La décision du ministre Guilbeault, qui a notamment cofondé l’organisation environnementale Équiterre, risque d’être périlleuse sur plusieurs fronts. S’il donne son approbation, les groupes écologistes vont monter aux barricades pour tailler en pièces sa crédibilité quand il s’agit de lutter contre les changements climatiques.

Les libéraux de Justin Trudeau se font encore reprocher par ces mêmes groupes d’avoir acheté l’oléoduc Trans Mountain de la société américaine Kinder Morgan, en mai 2018, au coût de 4,5 milliards de dollars, pour mener à bien le projet d’expansion permettant d’en tripler la capacité.

Mais s’il rejette le projet, le gouvernement Trudeau pourrait en subir les contrecoups politiques à Terre-Neuve-et-Labrador. À l’heure actuelle, les libéraux détiennent six des sept sièges que compte la province à la Chambre des communes et ils y sont dominants depuis près de 20 ans.

En outre, le gouvernement libéral de Terre-Neuve appuie sans réserve ce projet qui permettrait de renflouer en partie les coffres de la province, qui est au bord de la faillite.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

Il est évident que la production de millions de barils de pétrole pour des décennies à venir serait totalement incompatible avec l’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au pays et dans le monde.

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada

« Ce sera un test de crédibilité pour le gouvernement Trudeau qui dit prendre la crise climatique au sérieux et se vante de n’avoir autorisé aucun projet d’exploitation d’énergie fossile depuis 2019.

« Si le gouvernement veut respecter sa promesse de plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier à leur niveau actuel pour ensuite les réduire rapidement, il doit rejeter ce projet et investir pour créer des emplois verts et permettre une transition juste pour les travailleurs et les communautés. Le gouvernement écoutera-t-il le lobby pétrolier ou la science et l’Agence internationale de l’énergie, qui nous disent qu’aucune nouvelle exploration ou expansion de la production de combustibles fossiles ne peut être justifiée si l’on veut respecter l’accord de Paris et limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C ? », a-t-il ajouté.

Au bureau du ministre Guilbeault, on a indiqué que le projet était toujours à l’étude. « Le ministre ne peut pas commenter un projet qui est en cours d’évaluation. Une fois l’évaluation indépendante terminée, le ministre prendra une décision qui sera rendue publique », a indiqué Kaitlin Power, attachée de presse du ministre de l’Environnement.

Elle a souligné qu’Equinor s’est engagée en novembre 2020 à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. « Pour y parvenir, Equinor s’est engagée à réduire les émissions de sa production de pétrole et de gaz, tout en investissant également dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies. En termes de prochaines étapes, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’AEIC) a tenu une période de commentaires sur l’ébauche du rapport d’évaluation environnementale et les conditions potentielles d’évaluation environnementale pour le projet de développement de Bay du Nord du 9 août au 9 septembre 2021 », a-t-elle indiqué dans un courriel à La Presse.

En savoir plus
  • De 40 à 45 %
    Réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada promise par le gouvernement Trudeau d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005
    SOURCE : Gouvernement du canada