(Ottawa) Incapable de mettre fin à la manifestation qui paralyse son centre-ville depuis 11 jours, le maire d’Ottawa demande 1800 policiers pour faire face à la crise. Quelques heures plus tôt, le gouvernement fédéral proposait de créer une table de concertation fédérale, provinciale et municipale pour tenter de trouver une solution. Un débat d’urgence s’est tenu à la Chambre des communes en soirée lundi pour débattre de solutions à la crise.

« Étant donné l’ampleur de l’armada de camions lourds qui occupent notre centre-ville, nous vous écrivons aujourd’hui pour vous demander d’aider la Ville à obtenir 1800 agents pour réprimer l’insurrection que la police est incapable de contenir », écrivent le maire, Jim Watson, et la présidente de la Commission de services policiers d’Ottawa, Diane Deans, dans des lettres adressées aux premiers ministres Justin Trudeau et Doug Ford. La veille, le maire avait déclaré l’état d’urgence.

Quelque 1000 contraventions ont déjà été données par les agents municipaux sans que cela mette fin au « convoi de la liberté ». La ville estime qu’il y a toujours entre 400 et 500 camions qui bloquent les rues du centre-ville d’Ottawa. « La manifestation est tristement devenue une occupation agressive et haineuse de nos quartiers », dénoncent-ils en comparant le bruit des klaxons à une « guerre psychologique ».

Lundi après-midi, un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a accordé une injonction de 10 jours pour empêcher les camionneurs de klaxonner sans arrêt, le temps de statuer sur une demande d’action collective de plusieurs millions de dollars au nom des résidants touchés.

Outre le bruit, c’est le non-respect des lois qui inquiète le plus certains résidants. Deux hommes sont entrés dans le hall d’entrée d’un édifice d’appartements de la rue Lisgar au petit matin dimanche et y ont allumé un incendie qui, heureusement, ne s’est pas propagé. Quelques heures plus tôt, certains résidants avaient invectivé les manifestants depuis leur fenêtre, excédés par le bruit. La police a lancé un avis de recherche pour tenter de mettre la main au collet de ces pyromanes présumés.

« La manifestation a créé une certaine anarchie qui a permis à ce genre de chose de se produire », a déploré Matias Muñoz, l’un des locataires qui ont publié sur les réseaux sociaux des images captées par une caméra de surveillance.

Table de concertation

Le gouvernement fédéral estime que la police d’Ottawa a déjà les outils et les ressources appropriés pour intervenir. « Laissez-moi être clair : ce n’est pas le rôle de quelque gouvernement que ce soit de donner des directives à la police », a précisé le ministre de la Protection civile, Bill Blair. La table de concertation convoquée par le fédéral vise à assurer la fluidité des communications entre les trois ordres de gouvernement et à répondre rapidement aux besoins de la ville.

M. Blair faisait partie des cinq ministres fédéraux qui ont fait le point lundi après-midi lors d’une longue conférence de presse. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a fait valoir que la Gendarmerie royale du Canada avait fourni 275 agents qui travaillent sous les ordres du chef de la police d’Ottawa.

Le ministre des Transports, Omar Alghabra, prévoit rencontrer son homologue ontarien sous peu pour lui demander d’appliquer le Code de la route. Le gouvernement provincial peut suspendre les permis commerciaux des entreprises de transport et suspendre l’assurance automobile des conducteurs qui bloquent les rues d’Ottawa.

« Je trouve qu’il y a un pas en avant sauf qu’il faut que cette table de concertation ait une dynamique bien réelle », a réagi le député bloquiste Alain Therrien.

Il faut qu’il y ait un plan d’action. Il faut qu’il y ait des volontés de toutes parts pour que ça progresse vite.

Alain Therrien, député bloquiste

Les conservateurs ont talonné les libéraux à la période des questions pour qu’ils mettent fin rapidement à la vaccination obligatoire des fonctionnaires fédéraux et pour monter à bord d’un avion ou d’un train. « Au Canada, vivre, ça veut dire vivre en liberté », a affirmé la chef intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen.

Elle a fait parvenir une lettre à Justin Trudeau lundi pour réclamer une rencontre entre tous les chefs de parti afin de dénouer l’impasse.

Débat d’urgence à la Chambre des communes

La Chambre des communes a accédé à la demande du Nouveau Parti démocratique et a tenu un débat d’urgence lundi soir. Le premier ministre, qui avait brillé par son absence toute la journée, a encore une fois dénoncé les débordements liés à la manifestation. « Le gouvernement fédéral fournira les ressources nécessaires dont la province et la ville ont besoin », a-t-il déclaré.

« Les gens qui crient après les autres parce qu’ils portent un masque ne définissent pas la majorité des Canadiens, la grande majorité de notre pays », a-t-il ajouté plus tard.

« La situation a atteint un point de crise », estimait plus tôt dans la journée le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh.

PHOTO FRED CHARTRAND, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh

Il croit que le gouvernement fédéral doit mettre fin à « l’interférence étrangère » qui soutient le « convoi de la liberté ». Une portion des 10,1 millions de dollars amassés par les organisateurs sur GoFundMe provient des États-Unis.

Le procureur général du Texas, Ken Paxton, s’est plaint sur Twitter samedi que la plateforme de sociofinancement avait décidé de retourner leur argent aux donateurs au lieu de le remettre aux manifestants. « Des Texans patriotiques ont donné à la noble cause des camionneurs canadiens en utilisant GoFundMe, a-t-il écrit. […] Aujourd’hui, j’ai assemblé une équipe pour enquêter sur leur potentielle fraude et tromperie. La justice sera rendue aux donateurs du Texas. »

Dans une lettre ouverte publiée dans le Globe and Mail, l’ex-gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre Mark Carney appelle les autorités à faire appliquer la loi et à retracer les fonds qui soutiennent le « convoi de la liberté ». « C’est de la sédition, écrit-il. C’est un mot que je ne croyais jamais utiliser au Canada. »

Aucun des ministres fédéraux présents en conférence de presse n’a voulu utiliser ce mot pour qualifier la manifestation.