(Ottawa) Les policiers seront plus nombreux à Ottawa, samedi, alors que des contre-manifestants sont attendus dans les rues du centre-ville paralysé depuis maintenant huit jours par le « convoi de la liberté ». Vendredi, les manifestants ont ignoré deux élus conservateurs qui les exhortaient à rentrer chez eux : ils continuaient à faire le plein de bonbonnes de propane, de bidons d’essence et de victuailles pour les BBQ.

Le Service de police d’Ottawa a annoncé vendredi le déploiement de 150 agents de plus dans les secteurs de la ville les plus touchés par la manifestation. Son chef, Peter Sloly, a dit s’attendre à l’arrivée possible de 300 à 400 camions supplémentaires dans la ville, de 1000 à 2000 manifestants venus appuyer le convoi, et d’environ 1000 contre-manifestants. Et tout en brossant ce portrait, il a souligné que la situation demeurait « très instable ».

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Peter Sloly, chef du Service de police d’Ottawa

Et il n’y a toujours pas de date fixée pour un retrait des véhicules dont les klaxons et les effluves sont devenus de grandes sources d’irritation pour les résidants du secteur, a noté le chef Sloly. Le long du canal Rideau, on a même construit une maison en bois, décrite comme une « cantine communautaire » sur les réseaux sociaux. Vendredi, on se préparait à accueillir la foule du lendemain, faisant peu de cas d’un appel conservateur à plier bagage.

« Ils ne sont pas au gouvernement en ce moment, ça ne change rien. S’il y a quelqu’un qui a à nous mettre dehors, ça va être [Justin] Trudeau », lance derrière le comptoir en bois un homme qui dit s’appeler « Jay ». Il ne se formalise donc pas du durcissement de la position du Parti conservateur portée vendredi par Pierre Paul-Hus, sur Twitter, puis son collègue Luc Berthold, lors de la période des questions.

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Le député conservateur Pierre Paul-Hus

J’ai passé la semaine à subir le Siège d’Ottawa. Si la motivation des camionneurs pouvait être [compréhensible], la situation actuelle est tout autre. Je demande que l’on dégage les rues et que l’on cesse cette occupation contrôlée par des radicaux et des groupes anarchistes.

Le député conservateur Pierre Paul-Hus, sur Twitter, vendredi

La veille, le député Paul-Hus avait demandé à la leader intérimaire Candice Bergen de rectifier le tir, selon nos informations.

Lors de la période des questions, son collègue Luc Berthold a fait écho à ses propos. Il a plaidé qu’après une semaine, il était « temps de mettre fin à la manifestation à Ottawa et [de] mettre fin aux restrictions qui en sont à l’origine ». La formation demande la levée de la vaccination obligatoire pour camionneurs.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, lui a répondu qu’il avait donné suite à une requête de la Ville d’Ottawa pour des renforts et que des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) seraient déployés. « Il faut respecter les lois. […] La GRC sera là pour appuyer la police d’Ottawa qui a la compétence dans ce dossier », a-t-il expliqué à son interlocuteur.

Un ton qui ne plaît pas à tous

L’avis des Québécois ne fait toutefois pas l’unanimité. Le député conservateur de Niagara Falls, Dean Allison, qui a donné une tribune à des antivaccins dans le passé, a dit être en désaccord avec les propos de son collègue Pierre Paul-Hus sur les médias sociaux.

Ce virage survient par ailleurs au lendemain de la publication, dans le Globe and Mail, d’un courriel que la nouvelle dirigeante intérimaire, Candice Bergen, avait envoyé au chef destitué plus tôt cette semaine, Erin O’Toole, au sujet de la stratégie à adopter à l’endroit des camionneurs.

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Candice Bergen, nouvelle cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada

« Je ne pense pas que nous devrions leur demander de rentrer chez eux », a-t-elle recommandé dans ce message également transmis à l’entourage de l’ancien dirigeant. « Je comprends que l’humeur pourrait bientôt changer. Nous devons donc transformer cela en problème pour le premier ministre », a ajouté la cheffe par intérim.

Elle n’a pas participé à la période des questions, vendredi. Par voie de communiqué, elle a déclaré que « peu importe l’allégeance politique, nous voulons tous une fin aux manifestations et une fin aux restrictions », et a invité les camionneurs à « reste[r] pacifiques ».

Plusieurs conservateurs sont allés à la rencontre des camionneurs et manifestants qui paralysent les rues de la capitale. Mercredi soir, des élus et une sénatrice de la Saskatchewan sont allés se faire photographier devant un poids lourd, ce qui a indigné le maire d’Ottawa. « C’est une honte absolue », a réagi Jim Watson.

Blanchet demande de l’action

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a lui aussi exprimé en mêlée de presse son ras-le-bol. Il estime qu’une cellule de crise doit être mise sur pied pour régler l’impasse, et que des pourparlers doivent se tenir avec les porte-parole du mouvement des camionneurs.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Le dirigeant bloquiste a trouvé « révélateur que le maire d’Ottawa lève le ton et évoque la possibilité de l’armée », une avenue qui lui apparaît « intense », mais qui témoigne d’une « détresse qui s’installe », dans la capitale, où on observe une « perte de patience des citoyens, une perte de jouissance du droit de vivre en paix ».

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré jeudi qu’un appel à l’armée n’était pas dans les cartons, du moins pas pour le moment.

Selon l’ancien ministre fédéral de la Justice Allan Rock, la Ville d’Ottawa devrait envisager l’avenue légale.

« Note de service au service juridique de la Ville d’Ottawa : il y a suffisamment de preuves qui justifieraient le dépôt d’une requête en Cour supérieure pour obtenir une injonction interdisant les klaxons incessants des camions qui constituent une nuisance. L’ordonnance pourrait aussi les forcer à partir. Occupez-vous-en ! », a-t-il écrit sur Twitter.