(Ottawa) Après avoir voté à une importante majorité (62 %) pour éjecter leur chef Erin O’Toole de son poste, mercredi après-midi, les députés du Parti conservateur ont confié quelques heures plus tard à l’élue du Manitoba Candice Bergen le soin de diriger la formation de façon intérimaire jusqu’à l’élection du prochain chef.

La mutinerie d’une trentaine de députés, menée par l’Albertain Chris Warkentin, a donc été couronnée de succès. Le Parti conservateur se voit contraint de tenir une troisième course à la direction depuis 2017. Les règnes d’Andrew Scheer et d’Erin O’Toole ont été des plus brefs.

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Candice Bergen, à la Chambre des communes, mercredi

Des 118 députés qui ont voté secrètement, mercredi, à l’issue d’une rencontre du caucus, 73 ont exprimé le souhait qu’Erin O’Toole soit remplacé, tandis que 45 ont appuyé son leadership. Seul le président du caucus, Scott Reid, à qui près du tiers des députés du Parti conservateur avaient demandé la tenue du vote de confiance, n’a pas voté.

À l’entrée de la période des questions, peu après, les élus conservateurs ont tous remercié Erin O’Toole pour son dévouement. « C’est un nouveau départ », a-t-on entendu de la bouche de plusieurs d’entre eux. Et tout en démentant que le parti est divisé, ils ont pour la plupart dit espérer l’élection d’un nouveau capitaine qui saura « unir » les troupes conservatrices.

Personne n’a voulu s’étendre sur les raisons de la colère qui a mené au désaveu de M. O’Toole, qui était en selle depuis moins d’un an et demi, ni sur ce qui attend le parti. Car celui-ci vient de perdre un deuxième dirigeant en l’espace d’environ deux ans, après Andrew Scheer – ce dernier, qui s’est engouffré dans l’édifice de l’Ouest sans répondre aux questions des journalistes, mercredi, a claqué la porte en décembre 2019.

Tentative de recentrage

Le Saskatchewanais était issu de l’aile plus à droite du parti. Son successeur, de l’Ontario, a quant à lui tenté un recentrage durant la campagne électorale, au grand dam de nombreux députés de l’Ouest. Mais « il n’y a pas de schisme Ouest-Est », a insisté le député albertain Tom Kmiec en mêlée de presse, dans un excellent français. Le sénateur conservateur du Québec Claude Carignan a fait le même constat. Ce dernier a assisté à la réunion, mais il n’avait pas le droit de voter. Seuls les députés avaient le droit de se prononcer sur le sort du chef.

« Le manque de confiance était généralisé. M. O’Toole a été bon pour le Québec, mais son leadership n’était pas à la hauteur des attentes du caucus », a résumé son collègue Pierre Paul-Hus. À qui, alors, devrait-on confier les rênes du parti ? « Écoutez, le corps n’est pas encore froid », a répondu le député Joël Godin, se décrivant comme un « progressiste-conservateur ».

En tout, neuf députés avaient manifesté leur intention de se présenter comme candidats à la direction intérimaire. La candidature de Mme Bergen, qui était cheffe adjointe sous la houlette d’Erin O’Toole, a rallié la majorité des députés conservateurs.

Quant à M. O’Toole, il a remis sa démission aux autorités du parti. « L’Exécutif national est à l’écoute des nombreuses voix de notre parti. Peu importe où vous vous trouvez dans notre coalition conservatrice, concentrons-nous maintenant à travailler ensemble, à nous respecter, à nous écouter et à trouver un chemin vers l’unité sous notre prochain chef », a écrit aux membres le président de la formation, Rob Batherson.

Dans les rues du centre-ville, le concert de klaxons des camionneurs s’est notablement intensifié après l’annonce de ce désaveu. Selon ce qu’ont indiqué des sources conservatrices à La Presse, la goutte qui a fait déborder le vase d’un mécontentement latent a été la tergiversation du chef dans les jours ayant précédé l’arrivée de ce « convoi de la liberté » à Ottawa.

Des élus bien en vue comme Candice Bergen, Andrew Scheer et Pierre Poilievre avaient donné leur sceau d’approbation au mouvement. Le chef O’Toole avait initialement exprimé sa réserve, affirmant qu’il n’était pas de son ressort, comme politicien et chef de parti, de soutenir ou non ce type d’initiative. Il avait ensuite fait volte-face.

« L’honneur d’une vie »

Le chef éjecté a réagi par vidéo, sur Facebook. Tout en assurant le futur chef de son entière « loyauté », il a précisé qu’il demeurerait député de sa circonscription de Durham, « car il n’y a pas de mauvais siège » à la Chambre des communes, qu’il soit à l’avant ou à l’arrière de la salle. Il a également exhorté sa formation à être à l’écoute de toutes les voix, même les dissidentes.

« Écoutez toutes les voix, pas seulement les échos de votre propre tribu », a-t-il fait valoir. « Ce dont les Canadiens ont besoin, c’est d’équilibre, d’idées et d’inspiration venant du Parti conservateur », a soutenu le chef déchu, disant vouloir d’un parti « fort et moderne » qui soit « à la fois une puissance intellectuelle et une puissance de gouvernance ».

Occuper les fonctions de chef du Parti conservateur a été « l’honneur d’une vie », a-t-il dit, remerciant avec émotion sa femme, Rebecca, et leurs deux enfants.