(Ottawa) Prolongation de l’opération Unifier, déploiement de dizaines de soldats additionnels sur le sol ukrainien, envoi d’équipement militaire non létal : le Canada accroît son aide à son « amie » l’Ukraine. Il le fait sans envoyer d’armes, et dans l’espoir affirmé que Moscou ne sonne pas la charge.

Sous pression depuis plusieurs jours, et alors que les tensions entre l’Ukraine et la Russie ne montrent pas de véritable signe d’apaisement, le premier ministre Justin Trudeau est sorti de la retraite de son cabinet entouré de trois de ses ministres les plus influentes afin de faire le point sur la situation.

Flanqué de la vice-première ministre, Chrystia Freeland, de la ministre de la Défense, Anita Anand, et de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, il a annoncé la prolongation de l’opération Unifier pour une période de trois ans, et l’élargissement de cette mission de formation.

Du renfort militaire arrivera sous peu, a-t-il noté, chiffrant le coût des promesses militaires à 340 millions.

J’ai autorisé les Forces armées canadiennes à déployer 60 personnes en quelques jours pour rejoindre les quelque 200 femmes et hommes déjà sur le terrain, avec une capacité supplémentaire d’augmenter le nombre de personnes sur le terrain jusqu’à 400.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Ces soldats seront là afin de faire de la formation, pas pour combattre. Et si un conflit armé devait éclater, il y a des « plans de contingence » en place en ce qui les concerne, a rappelé Justin Trudeau.

Pour précision, le quartier général de l’opération Unifier est situé à Kiev, à des centaines de kilomètres de la frontière, où Moscou a stationné environ 100 000 militaires.

Le Canada va également expédier des équipements non létaux, comme des gilets pare-balles ou encore de l’équipement optique. Il partagera aussi des renseignements avec Kiev et accroîtra le soutien à la lutte contre les cyberattaques.

« Les dictateurs nous surveillent »

À son tour au micro, la vice-première ministre Freeland a réaffirmé sa fierté par rapport à ses origines ukrainiennes, avant d’y aller d’un plaidoyer en faveur d’un système international fondé sur la règle de droit. Celui-ci est menacé par l’autoritarisme russe, et « les dictateurs du monde nous surveillent [l’Occident] », a-t-elle averti.

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La vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland

L’Ukraine est « aux premières loges » de ce choc, et elle ne devrait pas en faire les frais simplement parce qu’elle est « plus petite » et possède une armée moins puissante, a poursuivi Mme Freeland d’un ton grave. Elle a assuré qu’il était clairement dans l’intérêt national du Canada de faire les gestes annoncés mercredi.

La « solution diplomatique est la seule option », a insisté la ministre Joly. Mais si la Russie décide de violer l’intégrité territoriale, elle s’expose à des « conséquences sévères », et « le Canada est prêt » à sévir avec des sanctions coordonnées, a assuré la diplomate en chef, sans préciser la nature desdites sanctions potentielles.

Le gouvernement canadien débloque aussi 50 millions de dollars en aide humanitaire pour l’Ukraine.

Ce soutien s’ajoute au prêt pouvant atteindre 120 millions de dollars qui a été annoncé la semaine dernière, a précisé le premier ministre, qui s’est entretenu plus tôt avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour discuter de l’Ukraine.

Pas de livraison d’armes

Contrairement à certains alliés, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, le Canada n’a pas promis d’expédier d’armes létales à l’Ukraine. Les libéraux résistent donc, de ce fait, aux intenses pressions exercées par le lobby ukrainien, et n’accèdent pas à cette requête explicite de Kiev.

Il n’est cependant pas dit que l’option a été complètement écartée par le cabinet Trudeau, qui l’a étudiée lors de sa retraite virtuelle des derniers jours. Talonné sur cette question, le premier ministre est demeuré évasif, faisant valoir que le soutien d’Ottawa était « continu » et susceptible de « prendre de l’expansion ».

Et ultimement, il appartient au président Vladimir Poutine de ne pas envahir l’Ukraine encore une fois, après avoir illégalement annexé la Crimée en 2014, a insisté Justin Trudeau en conférence de presse au lendemain de l’annonce du rapatriement des familles de diplomates en poste en Ukraine.

L’absence d’une promesse d’envoyer des armes a suscité l’ire du Parti conservateur.

« L’inaction du premier ministre Trudeau remet en question le soutien du gouvernement libéral à l’Ukraine dans sa lutte contre les attaques de la Russie. Le temps des demi-mesures est révolu depuis longtemps », ont fustigé des députés dans un communiqué.

Au Nouveau Parti démocratique (NPD), on désapprouve l’envoi d’armes létales. Et en même temps qu’on dit soutenir la prolongation de la mission Unifier, on est « préoccupé par les rapports faisant état d’extrémisme au sein d’une petite partie de l’armée ukrainienne », lit-on dans un communiqué publié lundi dernier.

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La députée du NPD Leah Gazan

Une députée, Leah Gazan, s’est retrouvée dans l’embarras après avoir qualifié d’« horrible » le prêt de 120 millions consenti la semaine dernière par Ottawa à ce qu’elle a qualifié de « milice antisémite, néonazie et fasciste » dans une publication sur Twitter.

« Valeur symbolique »

« L’aide annoncée a une valeur plus symbolique », juge Dominique Arel, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire en études ukrainiennes.

« La Russie a une armée bien supérieure à celle de l’Ukraine, alors entraîner l’armée ukrainienne, c’est important, mais ce n’est pas nécessairement ce qui va faire la différence », dit-il.

Maria Popova, professeure au département de science politique à l’Université McGill, abonde dans le même sens. « Ces nouveaux militaires ne feront pas la différence. Ce n’est pas un très gros engagement du Canada », dit-elle.

Ces nouvelles mesures envoient toutefois un message clair à la Russie : il y a une solidarité entre les membres de l’OTAN, indique M. Arel.