(Ottawa) Patrick Brown prédit qu’un jour, au Canada, un premier ministre sera forcé de présenter des excuses officielles pour l’adoption et l’application au Québec de la loi 21. En attendant, le maire de Brampton poursuit sa croisade pour financer la contestation judiciaire de la Loi sur la laïcité de l’État – et il se frotte les mains en voyant la popularité de la mesure fléchir.

De Victoria à Calgary en passant par Winnipeg, Toronto et Halifax, d’un bout à l’autre du pays, « une quarantaine de villes » ont assuré le premier magistrat de Brampton de leur appui à la fronde contre la Loi sur la laïcité de l’État. Certaines vont délier les cordons de leur bourse, comme Patrick Brown les invitait à le faire le 14 décembre dernier, d’autres non.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE PATRICK BROWN

Patrick Brown, maire de Brampton, en Ontario

La démarche a suscité un malaise au Québec, notamment à Montréal, où le conseil municipal avait condamné le projet de loi, en avril 2019. Au cabinet de la mairesse Valérie Plante, on a admis être « inconfortable » par rapport au fait que des villes canadiennes financent un recours contre une loi « qui relève du gouvernement du Québec ».

En somme : de quoi je me mêle ? comme on dit de ce côté-ci de la rivière des Outaouais. « Beaucoup de gens dans ma communauté ont fui leur pays parce qu’ils étaient persécutés en raison de leur foi, qu’ils étaient privés d’occasions, et pour eux, la loi du Québec était odieuse », expose le maire, dont la ville est parmi les plus diversifiées au pays.

Et si la cause, qui a été portée en appel et que la Cour d’appel du Québec doit entendre le printemps prochain, se rend jusqu’en Cour suprême, elle pourrait avoir des ramifications qui « affecteraient tous les Canadiens », insiste cet ancien député fédéral du Parti conservateur et chef déchu du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario.

Un premier ministre devra s’excuser

En entrevue téléphonique, Patrick Brown fustige le « manque de courage » des chefs de parti à Ottawa, et aussi de maires québécois – dont il ne révélera pas les noms – qui renoncent à lever le ton parce que « le premier ministre [François Legault] est trop populaire », et que la loi 21 l’est également.

« À une certaine époque, ici, au Canada, l’internement de Canadiens d’origine japonaise était populaire. Les pensionnats autochtones étaient populaires », établit le maire en guise de parallèle.

Ainsi voit-il, dans sa boule de cristal, un premier ministre contraint de se lever, à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes, pour faire acte de contrition.

« Je pense qu’un jour, cette loi sera abrogée. Je pense qu’un jour, on verra un premier ministre s’excuser [au Parlement] », prophétise-t-il. Mais puisqu’à Ottawa, les chefs de parti ne font que « refléter la position du Bloc québécois » pour éviter de « perdre des appuis au Québec », il a ressenti le besoin de prendre le bâton du pèlerin.

« Pas une critique des Québécois »

Le maire Brown a écrit sa missive aux maires des 100 plus grandes villes du Canada dans la foulée de la réaffectation d’une enseignante de 3année de l’Outaouais, en décembre dernier. Cette histoire a ravivé le débat qui était (relativement) latent depuis la fameuse question posée par la modératrice Shachi Kurl au chef bloquiste, Yves-François Blanchet.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Messages adressés à l’enseignante réaffectée et dénonçant la Loi sur la laïcité de l’État accrochés à la clôture de la Chelsea Elementary School, en Outaouais

Sur le plateau du débat des chefs en anglais, durant la campagne électorale, elle avait demandé à M. Blanchet de justifier son appui à la loi 21, qu’elle avait qualifiée de « raciste ». Après la joute oratoire, Justin Trudeau – qui n’a jamais caché son aversion pour la loi, mais ne l’a pas taxée de « raciste » – avait martelé que « les Québécois ne sont pas racistes » et déploré cet « amalgame ».

Au fil de l’entrevue avec La Presse, qui s’est déroulée en français et en anglais, M. Brown a professé plusieurs fois son amour pour le Québec, « sa langue, sa culture ».

Son initiative, insiste le maire, « n’est pas une critique des Québécois ». Et si cette loi est selon lui « raciste », il dit ne pas considérer « qu’il y a un degré de racisme plus élevé au Québec [qu’ailleurs] ».

Il ne pense pas que sa démarche se retournera contre lui. « La preuve, c’est que le soutien à la loi a diminué », plaide-t-il. D’après un coup de sonde de Léger réalisé pour le compte de La Presse Canadienne, qui a été publié la semaine dernière, l’appui à l’interdiction du port de signes religieux pour les enseignants est passé de 64 % à 55 % de septembre à janvier.

La campagne de levée de fonds publics dans les municipalités vise à garnir le portefeuille du Conseil national des musulmans canadiens, de la World Sikh Organization of Canada et de l’Association canadienne des libertés civiles, qui combattent la loi devant les tribunaux. Les conseils municipaux de quelques villes ont accepté de leur fournir 100 000 $.

1,9 million

Somme que souhaite amasser le maire Patrick Brown en sollicitant ses homologues aux quatre coins du pays, ce qui porterait à environ 3 millions le trésor de guerre des contestataires