(Ottawa) La cheffe du Parti vert, Annamie Paul, intensifie ses attaques contre Justin Trudeau. Elle l’accuse d’avoir délibérément cherché à ébranler son leadership avec la complicité de sa vice-première ministre, Chrystia Freeland – un comportement qui va à l’encontre de leur credo féministe, dénonce la dirigeante.

Selon l’analyse de la cheffe, les libéraux ont affiché leurs vraies couleurs en menant une opération séduction auprès de Jenica Atwin, passée chez les rouges la semaine dernière. « Ils savaient très bien que ce serait quelque chose de déstabilisant pour nous », lance-t-elle en entrevue avec La Presse, jeudi.

« Le premier ministre sait très bien que je suis là depuis à peine huit mois, que je suis la première femme racisée, la première femme juive – et la seule femme, aussi – à diriger un parti fédéral. Tout le monde sait que perdre une députée, surtout […] au seuil d’une campagne électorale, c’est extrêmement [dommageable] », poursuit Mme Paul.

« Un féministe qui veut soutenir les femmes en politique ne ferait jamais ça », tranche-t-elle. En matinée, elle est allée plus loin encore, affirmant sur les ondes d’une station de radio de Toronto que la vice-première ministre, Chrystia Freeland, était « complice », et qu’elle devrait avoir « honte » d’être le « bouclier féminin » de Justin Trudeau, des propos qu’elle maintient.

[Chrystia Freeland] dit que le premier ministre est féministe, et il ne l’est pas. Elle le protège. Combien de fois est-ce qu’on va lui permettre de pousser des femmes hors de la politique ?

Annamie Paul cheffe du Parti vert

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES REUTERS

La vice-première ministre Chrystia Freeland

La cible de ces attaques s’en est offusquée. « Je ne suis pas un pion, et je n’accuserais jamais une autre femme politicienne d’être le pion d’un homme. Ce n’est pas comme ça qu’une féministe traite une autre femme », a réagi Mme Freeland dans une déclaration transmise par son cabinet, jeudi.

Et la vice-première ministre, qui avait appelé Jenica Atwin pour la convaincre de se joindre à l’équipe libérale, a ajouté qu’elle ne s’« excuserai[t] pas d’avoir eu des conversations avec d’autres femmes qui travaillent en politique […] », y compris Mme Atwin, car « il est important de se soutenir les unes les autres, et il ne faut certainement pas avoir honte de le faire ».

« Racistes » et « sexistes »

La dirigeante plongée dans la tourmente faisait un blitz médiatique, jeudi, au lendemain d’une conférence de presse où elle a taxé les conseillers de son parti qui cherchaient à la pousser vers la sortie de « racime » et de « sexisme ». Parmi ses pièces à conviction, la version préliminaire de la motion de non-confiance qu’ils avaient rédigée.

Dans ce document, qui a fait l’objet d’une fuite dans les médias, il est notamment écrit que Mme Paul « a agi avec une attitude autocratique d’hostilité, de supériorité et de rejet » et qu’elle a par ailleurs « développé une réputation de personne malhonnête », et que les rares fois où elle participait aux rencontres du conseil, elle a offert « de longs monologues agressifs ».

La dirigeante préfère ne pas identifier les éléments sexistes et racistes qu’elle a décelés dans la motion. « Mais pour moi et pour nos députés [Elizabeth May et Paul Manly], il était très clair qu’il y avait des stéréotypes sur les femmes, et sur les femmes noires », se borne-t-elle à dire.

La motion a été revue, mais avec celle qui a été adoptée de justesse, mardi soir, lors de la séance extraordinaire du conseil fédéral du Parti vert, Annamie Paul se retrouve face à un ultimatum : soit elle répudie les accusations d’antisémitisme faites par le conseiller Noah Zatzman à l’égard de Jenica Atwin, soit le conseil tient un vote de censure le 20 juillet prochain. Alors ?

Je n’ai pas encore décidé ce que je ferai. Ça pourrait créer un précédent et d’une certaine façon définir la relation entre le chef et le conseil fédéral dans le futur. Donc, ça nécessite plus de temps de réflexion.

Annamie Paul

Le conseil fédéral n’a pas le pouvoir de chasser la cheffe. Il a cependant déjà voté pour la tenue d’une assemblée générale des membres, la fin de semaine du 21 août, lors duquel pourrait se tenir une révision de la direction, si telle est la volonté du conseil. La note de passage est établie à 60 %.

Annamie Paul est aux commandes du Parti vert depuis octobre dernier. Elle avait coiffé au poteau Dimitri Lascaris au huitième tour de scrutin, avec 54,5 % des voix contre 45,5 % pour son plus proche adversaire. Elle a tenté de se faire élire dans l’ancienne circonscription de Bill Morneau, à Toronto, mais elle est arrivée deuxième derrière la libérale Marci Ien.

Annamie Paul et le Québec

Plusieurs personnes au sein de l’aile verte québécoise ne sont pas sur la même longueur d’onde que la cheffe sur certains enjeux touchant le Québec. En début de semaine, le vice-président du conseil fédéral, Daniel Green, évoquait en entrevue avec La Presse des divergences sur la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») ainsi que sur le projet de loi 96 sur la langue du gouvernement Legault. À ce sujet, Annamie Paul a indiqué jeudi qu’elle aurait voté contre la motion déposée en Chambre par le Bloc québécois, qui visait à reconnaître les demandes constitutionnelles contenues dans le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale.