(Gatineau) Montréal a eu la sienne, Québec et Longueuil aussi. Mais à Gatineau, quatrième ville en importance au Québec, on n’a jamais vu de mairesse. Il y a deux chances sur trois que le plafond de verre soit enfin brisé en novembre prochain.

L’annonce surprise du maire Maxime Pedneaud-Jobin de ne pas solliciter un troisième mandat a ouvert la voie à Maude Marquis-Bissonnette, à qui les rênes du parti Action Gatineau ont été confiées il y a un peu plus d’un mois.

Dès le début de l’entrevue Zoom, elle met les choses au clair. Oui, à 33 ans, elle est une jeune femme. « Mais la compétence n’a pas d’âge ou de genre », dit la titulaire d’une maîtrise en gestion urbaine, qui boucle un doctorat sur le rôle des villes en immigration.

La conseillère municipale a aussi derrière la cravate 10 ans d’expérience en politique. En somme, si elle accède à la mairie, elle débarquera avec un bagage municipal « beaucoup plus grand » que le sien, insiste Maxime Pedneaud-Jobin, qui participait aussi à l’entrevue.

« Il y a quelque chose d’un peu injuste à poser la question de l’expérience », argue-t-il.

De même qu’elle lutte contre les préjugés sur son âge, Maude Marquis-Bissonnette doit se battre aussi, malgré elle, contre le sexisme.

PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND, ARCHIVES LE DROIT

Maude Marquis-Bissonnette, candidate à la mairie de Gatineau

Je pense que les femmes doivent travailler davantage pour bâtir une crédibilité que les hommes. Je le vis.

Maude Marquis-Bissonnette, candidate à la mairie de Gatineau

Et les réseaux sociaux ? Ils n’ont pas exactement la réputation d’être tendres envers les femmes, surtout en politique. « Ce n’est pas à ça qu’on pense, sinon on n’irait pas, parce que c’est sûr que c’est le côté plus noir de la politique », avance la candidate.

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France Bélisle, candidate à la mairie de Gatineau

Son adversaire féminine dans la course, France Bélisle, admet qu’elle a tenu compte de ce volet plus sombre dans sa réflexion. « À quel point ma couenne est-elle épaisse ? Ça, il faut y penser avant », explique-t-elle à l’autre bout du fil.

Mais l’ancienne cadre de Radio-Canada et ancienne PDG de Tourisme Outaouais croit que les réseaux sociaux ne sont pas un reflet fidèle de la majorité des citoyens, et « le défi, c’est d’avoir la perspective nécessaire de toujours s’en souvenir », soutient-elle.

Lorsqu’on lui demande ce que l’élection d’une première femme aux commandes de la Ville de Gatineau signifierait pour elle, France Bélisle répond qu’elle n’a « jamais joué la carte femme », mais qu’elle « serait extrêmement fière d’être la première mairesse ».

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Jean-François LeBlanc, conseiller municipal
 de Lac-Beauchamp et candidat à la mairie de Gatineau

Contrairement à Maude Marquis-Bissonnette, elle n’a pas derrière elle la machine d’un parti politique. Il en est de même pour l’autre aspirant à la mairie, Jean-François LeBlanc, conseiller municipal de Lac-Beauchamp, qui se présente comme indépendant.

Et bien que ce dernier ne trouve rien de majeur à reprocher au bilan du maire sortant, il ne se prive pas d’attaquer la candidature de Maude Marquis-Bissonnette, « élue deux fois sans réelle opposition, comme conseillère municipale, puis cheffe de parti ».

Quant à France Bélisle, elle n’a « jamais fait de politique municipale », note M. LeBlanc.

« Plus populaire que son parti »

À Gatineau, comme dans d’autres municipalités, l’existence même de partis politiques est remise en question. Alors il s’agit à la fois d’un atout et d’un boulet pour celle qui aspire à succéder au maire Pedneaud-Jobin, selon le politologue Guy Chiasson.

Elle devra tâcher de faire le plein de notoriété si elle veut accéder au poste de mairesse, croit-il. « Le maire était devenu plus populaire que son parti », souligne le professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Les porte-bannières de la formation sont minoritaires au conseil municipal, avec 7 sièges sur 19. Ce rapport de forces a donné lieu à des débats corsés, dont celui sur le projet des tours Brigil, bloqué par le maire pour sauver le quartier du Musée.

« Dans ce dossier, Jean-François LeBlanc a mené la charge, et j’ai l’impression qu’il va se présenter comme le candidat de l’entrepreneuriat et du développement économique », analyse le professeur Chiasson.

Et à son avis, il y a de très bonnes chances qu’Action Gatineau fasse de l’enjeu de la lutte contre les changements climatiques une pierre angulaire de la campagne, dans une ville qui a vécu deux inondations majeures (2017, 2019) et une tornade (2018) en trois ans.

Gatineau et la « montréalisation »

À l’instar de sa voisine Ottawa, située de l’autre côté de la rivière des Outaouais, Gatineau n’a pas exactement la réputation d’être une ville excitante. Avec ses 285 000 habitants, elle est tout de même la quatrième ville en importance du Québec.

Plate ? Un instant, dit Maxime Pedneaud-Jobin. « On a amené le Cirque du Soleil deux fois, on a attiré 1,4 million de visiteurs avec les Mosaïcultures. On est la capitale du plein air urbain », énumère-t-il.

Il y a une partie de la perception négative qui relève du « mythe », mais aussi « du fait de la montréalisation des ondes ; les médias nationaux vont parler de Montréal, mais ils ne viennent pas chez nous », argue-t-il.

Il reste que les trois candidats veulent lui insuffler davantage de dynamisme.

Jean-François LeBlanc souhaite « relancer le centre-ville » en dépoussiérant le projet « Destination Gatineau » porté par l’ancien maire Marc Bureau, mais « tabletté » par Maxime Pedneaud-Jobin.

De son côté, France Bélisle rêve d’une « culture du beau » pour la ville, des secteurs Hull à Aylmer en passant par Buckingham. « On doit reconnaître que ces secteurs font partie de l’ADN de la grande ville qui est maintenant Gatineau [depuis la fusion] », lance-t-elle.

Quant à Maude Marquis-Bissonnette, même si elle juge qu’« il y a quelque chose qui est en train de se passer dans [le] centre-ville » et qu’il y a « un dynamisme qu’on n’avait pas eu auparavant », elle estime qu’il y a « encore beaucoup à faire ».

Les élections municipales auront lieu le 7 novembre 2021.

Le maire de toutes les catastrophes

Huit ans, trois catastrophes naturelles, un maire. Le passage de Maxime Pedneaud-Jobin à la mairie de Gatineau n’aura pas été de tout repos. Il est le premier à admettre que la surabondance de crises a joué dans sa décision de ne pas solliciter un troisième mandat – qu’il aurait pu décrocher assez facilement, de l’avis de bien des observateurs.

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Maxime Pedneaud-Jobin, maire sortant de Gatineau, ne briguera pas de troisième mandat.

« Je mentirais si je disais que l’ensemble des catastrophes n’a pas joué un rôle. À un moment donné, c’est devenu usant. J’ai l’impression d’avoir fait trois mandats, même quatre, et non deux. C’est sûr que l’accumulation a été un facteur », lance le politicien de 53 ans.

En rafale, Maxime Pedneaud-Jobin aura pataugé dans les rues de sa ville inondée avec le premier ministre Philippe Couillard en 2017, reçu l’ensemble des chefs de parti qui ont interrompu leur campagne pour constater les dégâts causés par une tornade en 2018, et repataugé dans des secteurs inondés avec le premier ministre François Legault en 2019.

Il est devenu ambassadeur, malgré lui, de l’enjeu de l’impact concret des changements climatiques. « On a joué un rôle, on a été une mairie qui a parlé d’une voix forte dans des dossiers comme ça », estime-t-il.

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Point de presse en compagnie du premier ministre Philippe Couillard et du chef du Parti québécois, 
Jean-François Lisée (à droite), alors que Gatineau a été frappée par une tornade, en septembre 2018

Ces aléas l’ont changé en cours de chemin, croit sa collègue mairesse Suzanne Roy.

« Il a dû faire face à cela. Ce n’était plus théorique. Pour lui, ça devenait des hommes et des femmes, des familles, dont il connaissait les visages. Il a été un bon porte-étendard de la nécessité de préparer les choses, de préparer l’impossible », affirme l’ex-présidente de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et mairesse sortante de Sainte-Julie.

Gatineau « sur la mappe »

Le maire Pedneaud-Jobin n’aura toutefois pas été que le maire des désastres naturels. Il estime avoir été celui qui a mis sa ville « sur la mappe ».

« Je pense que Gatineau n’est plus la même. On a pris une place qu’on n’occupait pas, ou très peu, et on l’a occupée de toutes sortes de façon », lance-t-il.

La place que Gatineau prend dans l’écosystème politique au Québec, j’en suis très, très fier.

Maxime Pedneaud-Jobin, maire sortant de Gatineau

Il brandit en guise d’exemple une résolution adoptée à l’Assemblée nationale en 2019.

Adoptée à l’unanimité, celle-ci reconnaît notamment « que la région de l’Outaouais a accumulé un retard important ces dernières années quant au financement public en santé, en éducation, en enseignement supérieur et en culture ».

Cela jetait les bases de l’annonce de la construction d’un nouvel hôpital de 600 lits dont Gatineau a bien besoin.

Le maire cite également parmi ses fiertés les avancées réalisées en matière de logement abordable et de fiscalité. « En fiscalité, Gatineau a été le fer de lance pour aller chercher l’équivalent de la croissance d’un point de TVQ. C’est le premier geste de réforme de la fiscalité municipale depuis des décennies », affirme-t-il.

Partir, mais où ?

Lorsque Maxime Pedneaud-Jobin a annoncé qu’il ne se représenterait pas, en février dernier, la machine à rumeurs s’est emballée. Elle s’est remise en marche, en fait, car elle bourdonne depuis des années. En 2017, elle l’envoyait candidat du Parti québécois. Le maire, qui est le gendre du regretté premier ministre péquiste Bernard Landry, avait nié.

Alors ? Quelle est la prochaine étape ? « J’ai toujours refusé de répondre à cette question depuis le mois de février, parce que je ne sais pas. Je pense qu’il est temps de passer à quelque chose, mais je ne sais pas quoi », lance-t-il avant d’évoquer, tout de même, un « goût de servir » dans le futur.

Il y a des sujets qui me passionnent beaucoup, comme la réforme qui n’est pas faite dans le monde municipal, et qui doit être faite. Ce sujet-là va continuer à m’habiter longtemps, mais je peux très bien travailler là-dessus sans être un élu. Mais j’ai besoin d’une pause.

Maxime Pedneaud-Jobin

La classe politique avait réagi à l’annonce de son départ en le couvrant d’éloges. « L’une des plus belles têtes politiques que j’ai rencontrées en 13 ans de carrière », tranchait le maire sortant de Québec, Régis Labeaume, dans des propos flatteurs qui ont été relayés par le quotidien Le Droit.

La tête de Maxime Pedneaud-Jobin disparaîtra-t-elle du paysage politique ? Pour Suzanne Roy, il ne fait aucun doute que non. « Et je vais aller plus loin : on ne le souhaite pas ! C’est quelqu’un qui a beaucoup à apporter. Et je pense que Maxime ne peut pas être loin des gens. »