(Québec) Éclaboussé par un nouveau rapport embarrassant de la commissaire à l’éthique, Pierre Fitzgibbon a démissionné de son poste de ministre de l’Économie, mercredi, « d’un commun accord » avec François Legault. Le premier ministre a sacrifié un pilier de son cabinet pour protéger l’image de son gouvernement.

Pierre Fitzgibbon demeure député de Terrebonne, mais il n’assure pas qu’il sera candidat aux prochaines élections. Eric Girard cumulera désormais les fonctions de ministre des Finances et de ministre de l’Économie.

François Legault avait protégé Pierre Fitzgibbon jusqu’ici, mais la situation était devenue intenable avec ce quatrième rapport de la part de la commissaire à l’éthique, Ariane Mignolet.

Elle a recommandé de retirer à Pierre Fitzgibbon le droit de siéger en Chambre. Du jamais vu.

Dans son rapport déposé à l’Assemblée nationale, elle conclut que M. Fitzgibbon « est encore, à ce jour, en manquement à l’article 46 du Code » d’éthique. Cet article prévoit qu’un ministre ne peut avoir d’intérêts dans des entreprises qui font des affaires avec l’État.

« Manquement continu »

Le député a des intérêts dans White Star Capital et dans ImmerVision, deux entreprises non cotées en Bourse.

Pierre Fitzgibbon n’a pas vendu ses parts dans les deux entreprises jusqu’ici parce qu’il essuierait des pertes de plus de 1 million de dollars.

« Ce manquement continu au Code présente un risque réel d’alimenter la perception selon laquelle les élus ne sont pas soumis à la loi comme le reste de la population et peuvent déroger à leur propre code de conduite. Cette situation contribue malheureusement à miner la confiance du public envers ses élus et les institutions démocratiques dans leur ensemble », écrit la commissaire.

Le « refus délibéré de M. Fitzgibbon de se soumettre à l’application du Code », malgré ses précédents rapports, constitue un « dangereux précédent », selon Mme Mignolet.

C’est dans ce contexte que la commissaire a recommandé à l’Assemblée nationale « d’adopter la seule sanction prévue au Code qui, outre la perte du siège, écartée d’emblée, car disproportionnée à ce stade-ci, vise à faire cesser un manquement qui perdure ». Il s’agit de « la suspension du droit du député de siéger à l’Assemblée nationale, accompagnée d’une suspension de toute indemnité et de toute allocation ». Cette sanction devrait s’appliquer jusqu’à ce que « le Ministre dispose de ses intérêts dans les entreprises ImmerVision et White Star Capital » ou qu’il renonce à son poste de ministre et confie ses intérêts à une fiducie sans droit de regard.

Un code désuet, estime Legault

Il ne restait plus d’autre option pour François Legault. « D’un commun accord, on a décidé, Pierre Fitzgibbon et moi, qu’il va se retirer du Conseil des ministres, mais qu’il va rester député », a-t-il annoncé en conférence de presse.

« Même si Pierre Fitzgibbon n’est pas en conflit d’intérêts, il reste que, dans sa forme actuelle, il ne respecte pas le Code. Donc pour protéger la réputation, l’image, la confiance, malheureusement, la seule solution, c’est que Pierre Fitzgibbon quitte ses fonctions de ministre de l’Économie. »

François Legault a préféré parler d’une situation « d’apparence de conflit d’intérêts », plaidant que « les deux entreprises n’ont jamais profité d’avantages du gouvernement » et que « Pierre Fitzgibbon n’a pas fait un sou avec ça ».

M. Legault considère que le code d’éthique est désuet et empêche des gens d’affaires de se lancer en politique. Il veut le modifier pour tenir compte des situations comme celles de M. Fitzgibbon. Il lui faut toutefois l’appui de l’opposition.

Pour Ariane Mignolet, « ici, l’enjeu n’est pas de déterminer si l’article 46 du Code est désuet, trop restrictif ou même injuste envers un ministre au profil d’investisseur. Plutôt, la présente enquête soulève la question suivante : peut-on choisir de ne pas se conformer à une loi qui nous est applicable ? Dans un État de droit, la réponse à cette question devrait toujours être non. A fortiori pour un membre de l’Assemblée nationale, qui exerce des fonctions de législateur ».

François Legault espère que Pierre Fitzgibbon pourra trouver un acheteur, ce qui lui permettrait de le réintégrer au Conseil des ministres. « Mais, en même temps, il faut quand même être réaliste. Il n’a pas réussi à vendre ses actions depuis deux ans et demi. […] Il lui est impossible de le faire à un prix raisonnable » en ce moment.

François Legault a précisé que son parti voterait contre le rapport de la commissaire, qu’il juge incohérent. « Il faudrait qu’il mette ses actions de ces deux entreprises-là dans une fiducie sans droit de regard, ce qui veut dire qu’il ne serait pas capable de les vendre » et de redevenir ministre, a-t-il expliqué.

Fitzgibbon « soulagé »

En entrevue, le démissionnaire a néanmoins affirmé qu’il placerait ses intérêts dans une fiducie sans droit de regard. Il ne sollicitera un autre mandat aux prochaines élections que s’il parvient à les vendre, a-t-il ajouté, entretenant un flou sur son avenir.

Il a démissionné parce qu’il se sentait devenir « toxique » pour le gouvernement. Il n’a « pas du tout » menacé de quitter la vie politique.

J’ai réalisé un moment donné que, oups, ça va être un peu compliqué pour le gouvernement. Moi, je ne voulais pas nuire au gouvernement. J’ai parlé à M. Legault [mardi et mercredi], et on a convenu que c’était la meilleure chose à faire.

Pierre Fitzgibbon, député de Terrebonne et ancien ministre de l’Économie

Le député dit avoir décliné des offres visant à le tirer d’affaire vite fait, car il voulait être encore capable de se regarder dans le miroir.

« Il y a tellement de gens qui ne voulaient pas que je quitte… Il y en a qui, un moment donné, m’ont même offert d’acheter mes actions en disant : “On verra plus tard, on va les mettre en pension…” C’est paradoxal, ce que je vais dire, mais mon éthique est telle que non, moi, je voulais faire une vraie vente. Honnêtement, je ne suis pas à l’aise avec ça. En bout de piste, on est tout seul devant le miroir et on se regarde… », a-t-il expliqué.

« La conclusion, c’est que je pars heureux, dans le sens soulagé. Je suis content d’avoir contribué au gouvernement, peut-être que je vais revenir si les choses se règlent. Et entre-temps, le gouvernement mérite d’être réélu et je voulais tout faire pour ne pas lui nuire. »

Vente des parts de 11 entreprises sur 13

Pierre Fitzgibbon rappelle qu’il a vendu ses parts dans 11 des 13 entreprises dans lesquelles il était investisseur au moment de son arrivée au gouvernement. Vendre ses autres intérêts en ce moment signifie des pertes qui représentent « une part relativement importante de [son] patrimoine ». « Je suis prêt à faire des sacrifices, et j’en ai fait pour venir en politique, mais il y a une limite aux sacrifices qu’on peut faire. »

Il martèle que le code d’éthique est « d’une autre époque » et « trop restrictif ». Dans les conseils d’administration auxquels il a siégé, comme la Caisse de dépôt, des gens d’affaires ont des placements privés et des mécanismes existent pour éviter les conflits d’intérêts, a-t-il plaidé.

Même s’il n’est plus ministre de l’Économie, le député compte donner un coup de pouce au gouvernement et conseiller ses collègues afin de contribuer à la relance. « Si, un moment donné, j’ai des contacts qui peuvent aider, je vais être en disponibilité, c’est sûr. » François Legault compte d’ailleurs faire appel à lui : « Je ne vois pas pourquoi je me priverais de ses conseils. »

Ils ont dit

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Vincent Marissal, député de Québec solidaire

Montrer la porte à Pierre Fitzgibbon était la seule bonne décision pour François Legault. Le premier ministre savait depuis plusieurs mois que le ministre de l’Économie brisait les règles d’éthique, pourquoi a-t-il fallu que la commissaire à l’éthique insiste pour qu’il entende enfin raison ?

Vincent Marissal, député de Québec solidaire, qui avait demandé à la commissaire de mener cette autre enquête

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Il était nécessaire de prendre cette décision de retirer M. Fitzgibbon du Conseil des ministres. Cette décision vient toutefois nettement trop tard et pour les mauvaises raisons, car le premier ministre se dit encore en désaccord sur le fond avec la commissaire. M. Fitzgibbon doit vendre ses actions, et nous n’avons pas à modifier nos normes d’éthique pour accommoder un millionnaire qui ne veut pas vendre à un moment qui n’est pas optimal à ses yeux.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

[Pierre Fitzgibbon] s’est toujours montré à l’écoute des préoccupations du milieu des affaires et a démontré à plusieurs reprises combien il comprend les défis. […] Nous sommes extrêmement déçus de le voir partir à une période aussi charnière de la relance.

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui a salué la « très grande efficacité » de l’ancien ministre, dans un communiqué