(Ottawa) L’heure du choix sonnera bientôt. Le premier ministre Justin Trudeau a récemment reçu une liste de candidats présélectionnés pour le poste de gouverneur général du Canada, qui est vacant depuis le départ fracassant de Julie Payette, il y a quatre mois.

Selon des informations obtenues par La Presse, Liza Frulla, ancienne ministre du Patrimoine au sein du gouvernement libéral de Paul Martin, a signifié son intérêt à qui de droit pour le poste de représentant de la reine Élisabeth II au Canada.

Mais il est peu probable que Justin Trudeau se tourne vers une deuxième personne de suite issue du Québec. Un principe officieux d’alternance militerait en défaveur d’une telle nomination.

Jusqu’à présent, aucune information n’a filtré en ce qui a trait aux candidats potentiels qui se retrouvent sur cette liste pour remplacer Julie Payette, qui a démissionné le 21 janvier dernier dans la foulée de la publication d’un rapport détaillant le milieu de travail « toxique » qu’elle avait instauré à Rideau Hall durant son règne de trois ans.

Le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada, Dominic LeBlanc, avait assuré à la fin du mois de janvier qu’un remplaçant serait nommé « d’ici quelques semaines ».

Or, la recherche de la « perle rare » s’est avérée plus ardue que prévu.

« On veut bien faire les choses. On veut évidemment éviter les erreurs du passé », affirme-t-on dans les rangs du gouvernement libéral.

Ces « erreurs du passé » sont venues hanter Justin Trudeau.

Car on a reproché au premier ministre et à ses collaborateurs de ne pas avoir réalisé les vérifications qui s’imposaient sur les antécédents de l’ancienne astronaute, notamment en ce qui a trait aux plaintes qui avaient été formulées à son endroit lors de son passage au Centre des sciences de Montréal ou encore au Comité olympique canadien.

Qui et quand ?

On veut donc à tout prix éviter un tel scénario. Par ailleurs, les critères de sélection du chef d’État du Canada sont plutôt vagues, signale le politologue Philippe Lagassé, professeur associé à l’Université Carleton, à Ottawa. « Ça devrait être quelqu’un qui est bilingue, mais à part ça, c’est quand même assez flou », expose-t-il.

On a tendance, souvent, à utiliser ces postes très visibles, très publics, pour faire avancer nos valeurs. Je trouverais ça improbable que ce gouvernement choisisse un mâle blanc anglo dans le modèle de [David] Johnston. Ça me semble improbable.

Philippe Lagassé, professeur associé à l’Université Carleton

Le temps presse, car Justin Trudeau jongle avec l’idée de déclencher des élections à l’automne. En temps normal, le premier ministre demande au gouverneur général de dissoudre le Parlement pour ensuite convoquer les Canadiens aux urnes.

Depuis que Julie Payette a jeté l’éponge, le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner, assume certaines de ses fonctions sur une base intérimaire, à titre d’« administrateur du gouvernement ».

Il a accueilli des diplomates étrangers, remis des distinctions honorifiques et sanctionné des projets de loi. Mais il ne faudrait surtout pas qu’il soit appelé à jouer un rôle dans la détermination de l’issue d’un scrutin serré, croit Philippe Lagassé.

« Il serait préférable de ne pas voir le juge en chef prendre, en tant qu’administrateur, des décisions qui pourraient être mal interprétées ou politisées » ; il en va de « l’intégrité de la fonction de juge en chef », souligne-t-il.

Un premier gouverneur général autochtone ?

Dans les mois ayant précédé la sélection de Julie Payette, la pression se faisait forte sur le gouvernement Trudeau pour qu’il passe de la parole aux actes en matière de réconciliation, et ce, en désignant un Autochtone comme représentant de la Couronne au Canada.

L’ancienne commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Michèle Audette, aimerait que cette fois soit la bonne. « Il faut intégrer les structures rigides et difficiles comme celle-ci », argue-t-elle en entrevue.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Michèle Audette, ancienne commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées

« Si cette personne-là pouvait influencer, éduquer, mobiliser, à travers le Canada et le monde, ce serait tellement puissant », lance celle qui confie s’être aliéné certaines personnes autochtones en acceptant un poste au gouvernement québécois, en 2003.

Un pays du Commonwealth vient d’établir un précédent : il y a une semaine environ, la première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, a annoncé que la prochaine gouverneure générale du pays serait Cindy Kiro, qui est maorie.

Mais attention : le processus de réconciliation avec ce peuple autochtone, qui compose environ 17 % de la population néo-zélandaise, est nettement plus avancé que celui du Canada, fait remarquer Philippe Lagassé.

Nous, ici, ce n’est pas du tout pareil. Il y a plusieurs nations différentes, et elles ont toutes des relations différentes avec la Couronne.

Philippe Lagassé

Et il faut aussi se demander comment un gouverneur général autochtone digérerait une promesse rompue du gouvernement à l’égard d’un peuple autochtone, relève-t-il. « C’est un rôle difficile. Ça prendrait une personnalité assez solide », soutient le spécialiste du système de Westminster.

C’est un comité présidé par le ministre Dominic LeBlanc qui était chargé de dénicher les candidats pour le poste. Y siègent notamment Janice Charette, greffière par intérim du Conseil privé et ancienne haute-commissaire du Canada au Royaume-Uni, Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal, et Natan Obed, président d’Inuit Tapiriit Kanatami.