(Québec) Le Comité consultatif sur la réalité policière met la table à une importante réforme pour moderniser la Loi sur la police, qui n’a pas été revue depuis près de 20 ans. Il propose notamment de réduire de 31 à 13 le nombre de services de police au Québec, d’intégrer l’Unité permanente anticorruption (UPAC) à une nouvelle unité spécialisée en cybercriminalité et en crimes économiques et d’interdire les interpellations policières basées sur un motif discriminatoire.

Cesser le travail en silo

Le Comité, coordonné par l’ex-maire de Sherbrooke Bernard Sévigny, a déposé mardi son volumineux rapport final au gouvernement Legault. Il propose 138 recommandations détaillées en plus de 200 pages. Les travaux, qui ont commencé au début de l’hiver 2020, s’inscrivaient avec le dépôt par Québec d’un livre vert sur la réalité policière.

« Est-ce que le système policier au Québec dans son état actuel est en mesure de faire face aux nouvelles formes de criminalité, à l’émergence de la cybercriminalité et à la portée extraterritoriale des réseaux criminels ? La réponse est non », a déclaré d’entrée de jeu M. Sévigny. Selon lui, « le Québec n’a pas les moyens de fragmenter ses ressources et de travailler en silo ».

« Un important exercice de consolidation est nécessaire et le développement d’une culture de collaboration est essentiel si nous voulons être à la hauteur des défis qui se pointent », a-t-il plaidé.

Refonte de la carte policière

Pour y arriver, le comité coordonné par M. Sévigny, auquel ont siégé l’ex-juge Nicole Gibeault, l’ancienne députée fédérale Marlene Jennings, l’ancien directeur de police à Québec Alexandre Matte et l’ex-officier de la Sûreté du Québec Louis Côté, propose de réduire de six à quatre les niveaux de services prévus à la Loi sur la police. On intégrerait au niveau 1 – le niveau plancher dans toute la province – les services actuellement prévus aux niveaux 1, 2 et 3. Cette opération ferait passer le nombre de corps de police au Québec de 31 à 13.

« Les principaux crimes en hausse au cours des dernières années ne font pas partie des services assumés par les corps policiers de niveaux 1 et 2. C’est le cas par exemple des méfaits ou des crimes concernant des données informatiques, la pornographie juvénile ou le proxénétisme et les infractions criminelles commises par des organisations opérant sur une base interrégionale, [qui] incombent en effet aux organisations policières de niveaux 3 et plus », explique le Comité.

IMAGE FOURNIE PAR LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

En intégrant les niveaux de services de police 1, 2 et 3 à un unique niveau plancher, le Comité suggère de regrouper pour l’avenir les corps de police de Mascouche, Terrebonne, Repentigny et L’Assomption/Saint-Sulpice dans un seul service policier pour la couronne nord-est de Montréal.

Le Comité propose également de regrouper les corps de police de Blainville, Deux-Montagnes, Thérèse-De Blainville, Mirabel et Saint-Eustache dans un service policier pour la couronne nord-ouest de Montréal.

De plus, le Comité suggère de regrouper dans un même service policier pour la couronne sud de Montréal les corps de police de Roussillon, Mercier, Châteauguay et Richelieu–Saint-Laurent.

Les services policiers des municipalités de Bromont, Granby, Memphrémagog, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jérôme, Thetford Mines et de la MRC des Collines-de-l’Outaouais seraient pour leur part transférés à la Sûreté du Québec (SQ), selon ce que propose le Comité.

Le Comité propose également d’intégrer le Commissaire à la lutte contre la corruption et l’UPAC à une nouvelle Unité spécialisée en cybercriminalité et crimes économiques.

« La force d’enquête du [Commissaire à la lutte contre la corruption], jumelée à celle d’autres enquêteurs et experts en crimes économiques dans une structure élargie, pourrait ainsi lui permettre de traiter les dossiers en lien avec la corruption, la lutte [contre] la fraude, le blanchiment d’argent, l’extorsion et les crimes contre l’État. Du point de vue du comité, la consolidation de l’expertise de l’UPAC dans un ensemble opérationnel plus large devrait contribuer à une meilleure utilisation des effectifs d’enquête », note-t-on dans le rapport.

Mieux encadrer les interpellations

Alors que le monde a été secoué ces dernières années par de nombreux évènements impliquant des policiers et des citoyens issus de différentes communautés culturelles, le Comité presse Québec d’« interdire explicitement les interpellations policières des piétons et des passagers de véhicule basées sur un motif discriminatoire partout au Québec ».

« Il est inacceptable que les populations racisées et autochtones fassent l’objet de surveillance particulière du simple fait de leurs origines culturelles. Si le renseignement criminel est une nécessité, sa pertinence est directement liée à la rigueur avec laquelle il est recueilli. Par conséquent, aucun service de police au Québec n’a intérêt à baser son travail sur des informations recueillies sans fondement ou sur la base de facteurs d’appartenance raciale, ethnique ou religieuse réelle ou présumée », ajoute le Comité.

Pour la Ligue des droits et libertés (LDL) et la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), « les recommandations […] relatives à la problématique des interpellations policières sont de la poudre aux yeux ».

Le Comité suggère également des modifications au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), notamment de « modifier le statut de corps de police spécialisé actuellement accordé au BEI pour en faire un organisme indépendant au même titre que le Commissaire à la déontologie policière ».

Recrutement des personnes racisées

Afin que les corps policiers reflètent la diversité de la société qu’ils servent, le Comité propose de « développer et mettre en œuvre rapidement une stratégie agressive de recrutement proactive dans les milieux de vie à l’intention des candidats racisés ». Pour y parvenir, il suggère d’obliger « les services de police à assumer le coût de la formation à l’École nationale de police du Québec des candidats racisés ayant obtenu l’attestation d’études collégiales et, en retour, exiger que ces derniers demeurent [employés] du service de police pour une période de cinq ans ».

Il est aussi préconisé d’obliger « les services de police à colliger des données raciales sur les personnes en cause ou interpellées lors de chaque intervention effectuée et à en rendre compte publiquement sur une base annuelle ».

De plus, le Comité propose aussi de « financer une étude indépendante sur les mécanismes à l’origine de la discrimination dans le système policier ainsi que dans les politiques et les pratiques policières » et d’élaborer « un plan d’action sur la discrimination systématique à partir des résultats obtenus ».

Des réactions immédiates

Dès le dépôt du rapport, les municipalités regroupées au sein de la Fédération québécoise des municipalités (FQM) se sont dites « inquiètes de la disparition de plusieurs services policiers municipaux ».

« Plusieurs communautés ont fait le choix de conserver leur service pour desservir leur communauté et pour en contrôler les coûts. Or, le rapport suggère la disparition de ce service de proximité. À titre de porte-parole des régions, la FQM ne peut accepter cette proposition », a déclaré Jacques Demers, président de la FQM, maire de Sainte-Catherine-de-Hatley et préfet de la MRC de Memphrémagog.

L’Union des municipalités du Québec a pour sa part affirmé que « tout projet de regroupement devra se faire sur une base volontaire, et cela, par le biais notamment d’incitatifs financiers ».

« Ce qui nous permet d’être meilleurs, c’est d’avoir une police de proximité. On a 31 services de police municipaux, 31 façons de faire qui sont calquées sur les besoins de leurs communautés. De penser que du jour au lendemain, on se priverait de tout ça, je ne comprends pas », a tonné François Lemay, président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec.

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, réagira mercredi aux recommandations du Comité qu’elle avait mandaté pour proposer des solutions afin de moderniser la Loi sur la police et améliorer le lien de confiance entre les citoyens et leurs policiers.