Justin Trudeau ne dénonce pas la modification constitutionnelle proposée par Québec.

Relisez la phrase. Ça surprend…

Mais pour le gouvernement caquiste, il est trop tôt pour crier victoire. Car cela ne protège pas sa réforme contre les contestations juridiques. Et cela ne signifie même pas que M. Trudeau l’appuiera.

Tout ce qu’on peut conclure pour l’instant, c’est que Québec a gagné la première manche.

Je rappelle que dans le projet de loi 96 sur le français, les caquistes proposent d’écrire dans la Constitution que les Québécois « forment une nation » et que le français est leur « langue commune » et leur « seule langue officielle ».

Depuis, le fédéral est sur la défensive, et le Canada anglais panique.

« Ce que nous comprenons par nos analyses initiales, c’est qu’effectivement, le Québec a le droit de modifier une partie de la Constitution », a réagi mardi le premier ministre du Canada.

Fin de l’histoire ? Pas si vite.

Ce n’est pas à M. Trudeau de dire si l’ajout est constitutionnel. Cette question est juridique, et c’est au tribunal de trancher. Si, bien sûr, la cause s’y rend.

Au risque de simplifier, le débat consiste à savoir qui peut modifier ainsi la Constitution.

J’en ai parlé entre autres avec Hugo Cyr et Benoît Pelletier, professeurs de droit respectivement à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.

Il existe au moins cinq formules d’amendement. Deux sont ici en cause.

La première (article 45) peut être faite unilatéralement à condition que le changement ne vise que la Constitution du Québec et ne touche pas les autres provinces ou les relations avec le fédéral. Québec avait recouru à l’ancêtre de cet article en 1968 pour abolir son Conseil législatif.

La seconde (article 43) exige l’appui à majorité simple de la Chambre des communes et du Sénat à Ottawa. Il est requis lorsqu’on touche à « des dispositions de la Constitution du Canada ». C’est le cas, par exemple, des modifications qui visent l’usage du français ou de l’anglais. Pauline Marois avait dû utiliser ce mécanisme plus lourd en 1997 pour déconfessionnaliser les commissions scolaires avec l’appui d’Ottawa.

Si le gouvernement caquiste avait choisi cette formule, la portée de la modification aurait été accrue. Mais il a préféré un geste unilatéral. Après tant d’échecs constitutionnels, il n’espérait plus rien d’Ottawa.

M. Trudeau dit que selon les analyses préliminaires du fédéral, le Québec peut agir unilatéralement. Tant mieux. Mais cela ne met pas fin au débat.

La loi sera sans doute contestée, et ce sont les juges qui trancheront. On comprend que M. Trudeau n’entreprendrait pas de poursuite. Mais il n’exclut pas d’intervenir en tant que partie concernée.

D’ailleurs, il annonce vouloir s’assurer du respect des protections prévues « ailleurs dans la Constitution, particulièrement pour les anglophones au Québec »…

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M. Trudeau est mal à l’aise.

D’un côté, il ne veut pas s’aliéner le Québec à la veille d’une probable campagne électorale. De l’autre, il note la colère habituelle du Canada anglais face à tout geste d’affirmation du Québec.

Le chef conservateur Erin O’Toole se passerait bien aussi d’un débat qui divisera son caucus. Pour chaque appui gagné au Québec, il risque d’en perdre dans les autres provinces.

Mais pour M. Trudeau, l’affaire semble personnelle. Pour lui, le Canada est un pays postnational et la Constitution est sacrée.

En 2017, Philippe Couillard et son ministre Jean-Marc Fournier avaient déposé une politique de 194 pages sur leur vision du fédéralisme. Avant même de la lire, M. Trudeau leur avait servi cette rebuffade : « On ne rouvre pas la Constitution. »

Il n’est pas le seul à le penser. Dans le Canada anglais, les chemises se déchirent depuis une semaine. Le commentariat y célèbre la diversité sous toutes ses formes, à une exception : celle du Québec.

Pourtant, la nation québécoise a déjà été reconnue par une motion à la Chambre des communes, en 2006, à l’initiative de Stephen Harper. L’ajouter à la Constitution ne ferait que compléter cette logique.

Aussi, le statut de langue officielle a été consacré au Québec en 1974 par Robert Bourassa.

Même la Cour suprême a cheminé. Dans l’arrêt Nadon de 2014, elle a reconnu la pertinence de protéger « les traditions juridiques et les valeurs sociales distinctes du Québec ».

Mais pour certains, le simple désir d’exister du Québec restera toujours suspect.

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Au fil de mes conversations avec des constitutionnalistes, je me suis dit : tout ça pour ça ? Car la modification de Québec reste avant tout symbolique.

Certes, ce n’est pas rien. François Legault et son ministre Simon Jolin-Barrette offrent une petite réparation après l’échec du lac Meech. Mais cela risque peu d’influencer les tribunaux.

D’ailleurs, ce n’est même pas l’intention avouée du Québec, rappelle M. Pelletier. La raison est simple : si c’était le cas, l’amendement exigerait probablement l’accord du fédéral.

Peut-être que cela explique la prudence de M. Trudeau. Le Canada reste une fédération dans la Constitution duquel est inscrit le multiculturalisme. Il n’est donc pas inquiet des conséquences. À part, bien sûr, celles de la réaction des électeurs.