Saluée par certains, décriée par d’autres. La réforme de la loi 101 présentée jeudi par le gouvernement Legault est loin de faire l’unanimité. Si à Montréal, les villes de banlieue saluent une politique « rassurante », des organismes militant pour la protection de la langue conservent toutefois plusieurs inquiétudes.

« On se trouve à débattre sur une multitude de moyens d’action, mais en naviguant à l’aveugle, sans avoir un cap précis ou de véritables obligations de résultat. Si on s’entendait tous sur des objectifs minimaux, ça permettrait une discussion moins empreinte de sophismes et d’une peur de déplaire à un électorat en particulier », dit le président du Mouvement Québec français, Maxime Laporte.

Il soutient que cette réforme « ne permettra pas de renverser la tendance » qu’est la diminution « du français par rapport à l’anglais ». « Le gouvernement refuse de revenir aux dispositions initiales en matière d’affichage, refuse essentiellement d’appliquer la loi 101 aux cégeps, et refuse de donner une obligation de résultat dans la politique d’immigration. Si on n’atteint pas les 90 % de transferts linguistiques des allophones vers le français, la vitalité de la langue ne peut que régresser », fustige M. Laporte.

Malgré tout, son organisme relève certains « gains », dont des mesures renforcées en francisation, l’application de la loi 101 dans les entreprises fédérales et le « renforcement du droit de travailler en français ». « C’était des demandes de notre part. On le salue », soulève l’avocat de formation.

Au Mouvement national des Québécois (MNQ), la présidente Thérèse David salue aussi certaines mesures comme l’implantation d’un ministère de la Langue française et le renforcement du rôle de l’Office québécois de la langue française (OQLF). « À l’inverse, on aurait aimé plus de mordant sur l’affichage. Et dans les cégeps, étirer la loi au lieu de faire un gel de places, ça aurait été pertinent », dit-elle.

C’est un projet de loi qui, surtout, va marquer les esprits, parce qu’il ratisse très large. C’est costaud, oui, mais il y a encore de la place à l’amélioration. Cela dit, je pense qu’on va dans la bonne direction.

Thérèse David, présidente du MNQ

La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), elle, note que les mesures annoncées par Québec correspondent presque « à la lettre » à ses demandes. Seule surprise : la décision d’imposer l’épreuve uniforme de français pour l’ensemble du réseau collégial, y compris dans le réseau anglophone. La présidente de la FECQ, Noémie Veilleux, estime que des mesures d’aide à la réussite devront être mises en place dans les établissements anglophones pour aider les étudiants à passer cette évaluation.

Chez la Fédération des cégeps, on se réjouit que le gouvernement n’ait pas étendu la loi 101 aux cégeps. « Le libre choix de la langue en enseignement supérieur est maintenu. Avec ce projet de loi, le gouvernement agit de manière équilibrée sur plusieurs fronts, dans tous les secteurs, y compris celui de la langue de travail », indique son président, Bernard Tremblay.

Villes de banlieue directement concernées

À l’Association des municipalités de banlieue (AMB), qui représente les 15 villes liées de Montréal, le président Beny Masella affirme que le projet de loi est « intéressant ». « On comprend que Québec a choisi de maintenir l’autonomie municipale. Les villes qui tombent sous le seuil de 50 % de population anglophone auront le droit de maintenir leur statut bilingue, en passant une résolution au conseil dans les 120 jours, ce qui nous rassure beaucoup. C’est un bon compromis », illustre celui qui est aussi maire de Montréal-Ouest.

L’association indique qu’elle devra toutefois « faire une analyse approfondie pour juger de l’impact précis » du projet de loi, notamment sur des enjeux « comme la langue de communication avec les entreprises ». « Le diable est dans les détails. On souhaite participer aux consultations qui arriveront », ajoute M. Masella.

Depuis le départ, ce qu’on disait, c’est de ne pas toucher au statut bilingue des villes. On veut tout faire pour promouvoir la langue française, mais pas au détriment des droits acquis des populations anglophones.

Beny Masella, président de l’Association des municipalités de banlieue

À Côte-Saint-Luc, le maire Mitchell Brownstein seconde. « Ici, seulement 18 % de la population a le français comme langue maternelle, donc c’est essentiel d’avoir la possibilité de continuer à être une ville bilingue. Je suis très content du respect de notre autonomie », insiste-t-il.

Le débat a également rebondi sur la Rive-Sud de Montréal, à Longueuil, où le conseil doit se prononcer mardi sur une résolution pour maintenir le statut bilingue de Greenfield Park ; 26 % de la population est aujourd’hui anglophone, contre 34 % il y a environ 10 ans. « La résolution propose tout de même de maintenir le statut d’organisme reconnu de l’arrondissement. On veut respecter ça », confirme l’attachée de presse de la mairesse de Longueuil, Alexandre Lapierre.

Un constat que ne partage pas la députée de Marie-Victorin et candidate à la mairie de Longueuil, Catherine Fournier, pour qui il faudrait « réévaluer » le statut bilingue de Greenfield Park. « Il y a d’énormes changements démographiques en cours à Greenfield Park. Il serait difficile de justifier le maintien du statut bilingue dans ce contexte. Ceci étant dit, il faut tout de même reconnaître que la langue anglaise fait partie du patrimoine de l’arrondissement », soutient-elle.

Avec Marie-Ève Morasse, La Presse