(Ottawa) On a dû pousser un soupir de soulagement dans l’entourage de Justin Trudeau, jeudi : le premier ministre a été blanchi par le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique pour son implication dans l’octroi d’un contrat à WE Charity (Mouvement UNIS, en français). Son ex-ministre des Finances, Bill Morneau, s’en est moins bien tiré, encaissant trois blâmes pour autant de violations à la Loi sur les conflits d’intérêts.

« Il n’y a pas eu de conflit d’intérêts de la part de M. Trudeau lorsqu’il a pris les deux décisions relatives au financement et à UNIS », a tranché le commissaire Mario Dion dans le très attendu rapport déposé jeudi. Il y détermine que la décision du premier ministre d’approuver le programme de bourses de bénévolat avec UNIS comme administrateur n’était pas problématique « compte tenu de l’absence de relation personnelle » entre Justin Trudeau et les frères cofondateurs de l’organisme, Marc et Craig Kielburger.

Il ne se fait pas taper sur les doigts pour ne pas s’être récusé de la décision du cabinet, car « bien que le lien entre les proches de M. Trudeau et UNIS ait donné lieu à l’apparence d’un conflit d’intérêts, l’apparence d’un conflit ne constitue pas une contravention aux règles de fond de la loi », et « le devoir de récusation est seulement nécessaire lorsque le titulaire de charge publique se trouverait en situation de conflit d’intérêts potentiel », a jugé l’agent indépendant du Parlement dans ce document qui tient sur 49 pages.

Le rapport, intitulé Trudeau III, vient clore une saga qui a duré des mois sur la colline d’Ottawa. L’enquête du commissaire avait été réclamée en juillet dernier par les partis d’opposition, qui ont fait leurs choux gras de cette histoire pendant des mois. Il contredit aussi l’adage « jamais deux sans trois » – Justin Trudeau a été blâmé pour son voyage sur l’île privée de l’Aga Khan, puis pour sa gestion du dossier SNC-Lavalin.

Et son dépôt enlève une épée de Damoclès qui était suspendue au-dessus de la tête du premier ministre, alors qu’un scrutin fédéral se profile à l’horizon. « Ce rapport confirme ce que je dis depuis le début », a déclaré le principal intéressé par voie de communiqué. « Au cœur de cette initiative se trouvait la volonté d’apporter du soutien aux jeunes le plus rapidement possible durant cette pandémie », a ajouté Justin Trudeau.

Morneau se fait taper sur les doigts

Le commissaire n’arrive pas à la même conclusion dans le cas de l’ex-ministre des Finances, Bill Morneau.

« L’amitié entre M. Morneau et [Craig] Kielburger, cofondateur d’UNIS, a créé un conflit potentiel pour M. Morneau lorsqu’il a été appelé à prendre toute décision qui favoriserait les intérêts personnels d’UNIS. […] Autrement dit, toute décision prise par M. Morneau qui donnait la possibilité de favoriser les intérêts personnels d’UNIS a été prise de façon irrégulière », a-t-il écrit dans le rapport de 54 pages.

L’étude a aussi permis au commissaire de constater que le « degré de mobilisation » du cabinet ministériel de Bill Morneau était « exceptionnellement élevé » quant aux dossiers relatifs à l’organisme, et que le « libre accès » dont jouissait WE Charity au cabinet constituait « un traitement de faveur […] fondé sur la relation » entre l’ex-ministre et Craig Kielburger, qui, « en plus d’être un électeur » de la circonscription du ministre, à Toronto, était « aussi un ami, au sens de la Loi sur les conflits d’intérêts », de ce dernier.

L’ancien grand argentier a rejeté une partie des blâmes lui ayant été adressés. « Comme le confirme le rapport, la décision de confier l’administration du programme WE Charity était entièrement basée sur les conseils de la fonction publique. Comme je l’ai déjà dit, j’aurais dû me récuser de la discussion », a-t-il exprimé sur Twitter, jeudi.

Les liens avec WE Charity

Le gouvernement libéral s’était retrouvé plongé dans la controverse après avoir octroyé, en juin dernier, un contrat qui aurait permis à WE Charity de toucher jusqu’à 43,5 millions pour administrer un programme de bourses d’études doté d’un budget qui aurait pu atteindre 912 millions.

S’il y avait là un parfum de scandale, c’est que les familles de Justin Trudeau et de Bill Morneau entretenaient des liens très étroits avec l’organisation.

Dans le cas de Justin Trudeau, sa mère, Margaret Sinclair, son frère Alexandre (Sacha), ainsi que sa femme, Sophie Grégoire, avaient été rémunérés pour diverses conférences offertes lors de de grands évènements mis sur pied par l’organisme des frères Kielburger.

En ce qui a trait à l’ancien grand argentier, sa famille et lui avaient participé à des voyages humanitaires – périples pour lesquels il avait omis de débourser certains frais. Il en avait fait l’aveu en comité parlementaire en juillet dernier en indiquant qu’il avait signé un chèque de 41 000 $ pour rembourser la note.

Le commissaire Dion a blanchi Bill Morneau pour cette erreur jugée de bonne foi en octobre 2020.

Les deux hommes avaient participé à la décision du cabinet d’octroyer ce contrat gouvernemental dans le contexte de la pandémie. Alors que la pression sur eux s’accentuait, ils avaient reconnu en juillet dernier avoir commis une erreur en ne se récusant pas des discussions entre ministres concernant ce contrat.

Un peu plus d’un mois après avoir fait acte de contrition, le ministre Morneau annonçait sa démission.

Réactions de l’opposition

Le chef conservateur Erin O’Toole, dont les troupes étaient sur les lignes de front pour attaquer les libéraux, a fait valoir que le verdict de Mario Dion ne vient « absolument pas » clore la saga, et qu’un gouvernement O’Toole ferait « le ménage » en imposant des peines plus élevées aux personnes qui enfreignent la loi.

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, a quant à lui fait valoir que « même si Trudeau est blanchi cette fois, il faut se rappeler que c’est une décision prise par le conseil des ministres, c’est donc tout le gouvernement libéral qui est blâmé ici ».

Au Bloc québécois, le chef Yves-François Blanchet a insisté sur le fait qu’il « faut respecter les institutions » et que « si telle est la décision du commissaire à l’éthique, ainsi soit-il », mais il a argué qu’« on retiendra quand même que M. Trudeau a voulu confier un programme de près d’un milliard de dollars à une organisation qui octroyait des contrats à des membres de sa famille immédiate ».