Le refus de l’administration Plante d’étendre le vote postal aux électeurs de 70 ans et plus lors des prochaines élections soulève plusieurs questions, en plus de susciter quelques théories, dont celle du calcul politique.

Le sujet n’a rien de sexy, mais il mérite grandement qu’on s’y arrête.

Lors des élections municipales du 7 novembre prochain, certains groupes d’électeurs (résidants en CHSLD, patients en centre de réadaptation, personnes ne pouvant se déplacer en raison d’une ordonnance de la Santé publique) pourront exercer leur droit de vote par correspondance. Cela représente 57 000 électeurs potentiels dans la métropole.

Le contexte de la pandémie, qui nous réserve peut-être quelques surprises (un nouveau variant est si vite arrivé), a mis de l’avant la possibilité d’étendre ce droit à l’ensemble des personnes de 70 ans et plus. Cette mesure ferait grimper le nombre d’électeurs potentiels pouvant voter par la poste à 225 000, ce qui représente 20 % de l’électorat montréalais.

C’est beaucoup de monde.

La question du vote postal en vue des prochaines élections est dans l’air depuis un an. Déjà, en mai 2020, une résolution adoptée par le conseil municipal, à la suite de la motion du conseiller indépendant Marvin Rotrand, mandatait la Commission de la présidence du conseil d’examiner les modalités de ce processus.

En août 2020, les membres de cette commission formée de 11 élus recommandaient à l’administration de rejeter cette proposition pour des raisons de logistique. En effet, appliquer un tel changement pour l’ensemble des Montréalais serait un objectif impensable à quelques mois du scrutin.

Puis, en mars dernier, des consultations au sujet de la loi 85 créée par le gouvernement du Québec afin de faciliter le déroulement des prochaines élections ont eu lieu. C’est là que le concept des 70 ans et plus est apparu.

Dès le départ, on a senti que l’idée d’élargir le vote postal avait du mal à se frayer un chemin jusqu’aux oreilles influentes du conseil municipal. Dans un commentaire publié en mars par la Ville de Montréal sur la loi 85, on n’a pu déceler aucun intérêt pour cette mesure.

« Le calendrier législatif du gouvernement du Québec ne permet malheureusement pas d’envisager l’élargissement du vote par correspondance pour l’élection générale 2021 puisque le temps manque pour procéder aux acquisitions requises en matière de soutien technologique », peut-on lire dans le document.

L’exposé du directeur du greffe, MYves Saindon, le 20 avril dernier, est venu conforter l’administration dans sa position. Devant le conseil municipal, chiffres et données à l’appui, ce fonctionnaire non partisan a fait la démonstration que cette opération serait très complexe et qu’elle ouvrirait la porte à des contestations.

Sachant que les électeurs montréalais doivent voter deux, trois, quatre ou même cinq fois dans certains arrondissements, la logistique entourant la préparation, l’envoi et le traitement des bulletins a été jugée difficilement réalisable.

La question des coûts de cette opération doit également être prise en considération. Les élections de 2017 ont coûté 16 millions de dollars. La mairesse Valérie Plante demande déjà des millions supplémentaires à Québec afin de mettre en place les mesures spéciales qui devront être appliquées. Un vote postal élargi ferait gonfler davantage la note.

Quand on lui demande, comme ce fut le cas jeudi dernier, pourquoi elle n’est pas favorable à une telle mesure, la mairesse Valérie Plante répond que cette décision a été prise par le gouvernement du Québec, l’Union de municipalités du Québec et Élection Montréal, des « instances qui dépassent la mairesse ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Or, MSaindon, quelques jours avant sa présentation du 20 avril, a remis à la Ville de Montréal un rapport dans lequel il dit, après avoir émis de nombreuses mises en garde, qu’il « appartient maintenant au conseil municipal de prendre une décision ».

De son côté, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, permet aux municipalités qui le souhaitent d’adopter avant le 1er juillet prochain une résolution afin qu’elles puissent avoir recours au vote par correspondance pour les personnes de 70 ans et plus.

Plusieurs villes québécoises songent à adopter cette façon de faire : Laval, Sainte-Thérèse et Brossard en font partie. À Québec, le parti Démocratie Québec demande aux conseillers de se prononcer en faveur de ce processus.

Par ailleurs, la Ville de Toronto a mis en place un système de vote par correspondance pour des élections partielles qui ont récemment eu lieu.

La question qui s’impose et qui devrait hanter la prochaine campagne est : est-ce que l’absence d’une telle mesure aura un impact sur le résultat des votes à Montréal ?

Lors des élections de 2017, le taux de participation global fut de 42,5 %. C’est dans le groupe des 56-70 ans qu’on a observé le plus haut taux de participation avec 53,5 %. Quant à celui des 71 ans et plus, il fut de 48,8 %.

Seulement 24,6 % des 18-25 ans se sont rendus aux urnes. La participation fut légèrement plus grande chez les 26-35 ans, où 32,1 % des électeurs ont voté.

Bref, plus on est âgé, plus on vote.

Cette observation, couplée avec la croyance que Projet Montréal attire un électorat plus jeune et qu’Ensemble Montréal en rejoint un plus vieux, fait croire à certains que le fait de ne pas offrir cette possibilité aux personnes de 70 ans et plus influerait sur les résultats.

Sommes-nous en face d’un manque de volonté ? D’une peur du changement ? Des effets de la lourdeur bureaucratique ? Ou d’un réel défi difficilement surmontable ?

Je crois qu’il y a un peu de tout cela.

L’intégrité de ce processus est régulièrement mise en doute. Donald Trump a largement contribué à semer le doute sur les risques de fraude massive. Or, plusieurs experts internationaux ont profité des dernières élections américaines pour dire qu’il n’y a rien qui démontre empiriquement que le vote postal est moins sûr que le vote en personne.

En n’offrant pas l’élargissement du vote postal aux prochaines élections municipales, on dissipe le doute sur les irrégularités. Mais on en fait naître un autre : celui de croire que les résultats seraient différents si on le permettait.

En tout cas, on s’entend sur une chose, tous les candidats engagés dans cette campagne auront, pour des raisons qui leur appartiennent, à travailler très fort pour faire « sortir le vote ». Avec ou sans les craintes de leurs électeurs.