(Québec) Les tensions sont vives entre Québec solidaire (QS) et son Collectif antiraciste décolonial (CAD). Des membres accusent le groupe de créer un climat « toxique ». Réunis en Conseil national, à la mi-mai, les délégués seront invités à blâmer le collectif « pour avoir enfreint les valeurs fondamentales » du parti. Une résolution qui a des airs d’ultimatum.

Un document synthèse préparé par le comité exécutif de Québec solidaire et obtenu par La Presse a été remis aux membres en prévision du Conseil national. Il fait la chronologie de situations provoquées par le CAD que le parti condamne.

« Malgré de nombreux avertissements et interventions effectuées […] depuis maintenant plus d’un an, le Collectif n’a pas changé ses façons de faire, c’est-à-dire utiliser des tactiques de menaces, de dénonciation ou de poursuite, d’ultimatums ou d’intimidation », déplore le comité exécutif de QS.

Nous sommes d’avis que le Collectif [antiraciste décolonial] a non seulement dépassé trop de fois les limites de la dissidence pour tomber dans le dénigrement, et que ses comportements ont nui publiquement à Québec solidaire en plus de contribuer à instaurer un climat de militantisme malsain au sein du parti.

Le comité exécutif de Québec solidaire dans un document synthèse remis aux membres

Pour le parti, « le CAD se comporte comme s’il était la seule référence crédible à propos de certains enjeux […]. Il se permet d’utiliser la menace et l’intimidation face à différentes instances composées de personnes dûment élues, lorsque celles-ci n’acceptent pas de suivre à la lettre leurs positionnements ou leurs stratégies politiques ».

Menace de poursuite

Dans sa chronologie des tensions vécues depuis des mois avec le CAD, Québec solidaire dévoile avoir reçu en mars dernier une mise en demeure du Collectif. On lui reproche d’avoir envoyé aux membres élus des instances du parti une lettre qui explique pourquoi QS a publiquement désavoué le Collectif au cours de l’hiver.

En mars, le CAD a associé un journaliste membre de la Tribune de la presse parlementaire à Québec, ainsi que le chef parlementaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, et le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, à la « droite extrême » et à la « fachosphère ».

La présidente du parti, Nika Deslauriers, avait alors déclaré que les propos du CAD « étaient inacceptables et que le parti ne les endossait pas ». Le leader parlementaire de QS, Gabriel Nadeau-Dubois, avait également désavoué le Collectif en point de presse.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de Québec solidaire, Nika Deslauriers

Dans la mise en demeure citée par Québec solidaire dans son document, le Collectif affirme : « [Vu] l’ampleur de cette campagne de diffamation continue qui vise les membres racisé.e.s qui luttent sur l’antiracisme et le décolonialisme, nous n’excluons aucun recours juridique, incluant un recours pour discrimination à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. »

Des ateliers annulés

Québec solidaire déplore également l’annulation de trois ateliers de l’École buissonnière du parti, en mai 2020, à la suite « des interventions du CAD auprès des organisateurs de ces ateliers ». Des membres « issus des communautés racisées de Québec solidaire » ont alors dénoncé au parti un « climat toxique de militantisme cultivé par le CAD ».

« Le CAD prétendait que ces formations étaient illégitimes, puisqu’il n’avait pas été consulté ou impliqué dans leur organisation. Or, le CAD n’a jamais proposé d’atelier au comité organisateur malgré l’appel large lancé aux membres à proposer des sujets. D’autres militants antiracistes ont répondu à l’appel », explique le parti.

En mars 2021, rappelle aussi le parti, le Collectif a relayé un article de presse « citant le controversé professeur de l’Université d’Ottawa Amir Attaran, en appuyant ses propos. Rappelons que ce professeur, dans une enfilade de tweets citée dans l’article partagé par le CAD, a affirmé que le Québec se comparait à l’Alabama du Nord ».

« Ceci a mis de la pression sur les membres du caucus qui ont dû rectifier le tir et se dissocier de la publication du Collectif. Au lieu de parler de propositions politiques concrètes pour lutter contre le racisme systémique, nous avons dû nous engager dans un débat stérile visant à s’assurer que personne ne puisse penser que notre organisation appuyait les propos inacceptables de M. Attaran », déplore QS.

Vaines tentatives pour dénouer l’impasse

Québec solidaire affirme avoir tenté de régler les tensions entre le Collectif antiraciste décolonial, les instances du parti et ses membres à de nombreuses reprises. Le CAD aurait toutefois refusé de participer à beaucoup de rencontres, « accusant la direction du parti de faire preuve “de pratiques coloniales qui visent à paternaliser les membres du CAD en les convoquant à des rencontres pour tenter de les discipliner ou de décourager les élans honnêtes et productifs pour enrayer le racisme systémique au sein du parti” ». Une rencontre a finalement eu lieu en janvier dernier.

Mais après les tensions survenues l’hiver dernier, relativement aux débats entourant les propos d’Amir Attaran, à l’association d’élus et d’un journaliste professionnel à la « fachosphère », et à une mise en demeure, le Comité de coordination national de QS invite « les délégués du Conseil national à se prononcer à savoir si ces agissements sont acceptables ou non au sein de Québec solidaire ».

IMAGE TIRÉE DU DOCUMENT SYNTHÈSE PRÉPARÉ PAR LE COMITÉ EXÉCUTIF DE QUÉBEC SOLIDAIRE

Résolution qui sera transmise aux délégués de Québec solidaire réunis en Conseil national les 15 et 16 mai prochains.

La présidente du parti, Nika Deslauriers, affirme que la résolution qui sera soumise au vote « n’est pas un ultimatum ». Elle sert plutôt à « dire qu’il y a des comportements [que le parti] ne peut pas accepter ». Un processus de désaccréditation pourrait toutefois être soumis au prochain Congrès du parti, à l’automne, si la situation ne change pas.

Contacté par La Presse vendredi, le Collectif antiraciste décolonial n’était pas disponible pour commenter la présente situation. Le CAD a toutefois affirmé qu’il souhaite réagir la semaine prochaine afin de « pouvoir s’exprimer alors qu’on parle de [lui sans lui] depuis bien trop longtemps ».