(Québec et Montréal) Le gouvernement Legault annonce qu’il fera appel du jugement rendu mardi par la Cour supérieure, qui rend inopérantes certaines dispositions de la Loi sur la laïcité de l’État pour les commissions scolaires anglophones et les élus de l’Assemblée nationale.

« Je suis déçu du jugement. Je le trouve illogique. Actuellement, c’est comme si la laïcité et les valeurs, ça s’appliquait de façon différente aux anglophones qu’aux francophones », a déploré le premier ministre François Legault.

« Les lois du Québec doivent s’appliquer pour tous et sur l’ensemble du territoire québécois. Il n’y a pas deux Québec, il n’y en a qu’un seul », a défendu le ministre de la Justice et ministre responsable de la Laïcité, Simon Jolin-Barrette.

« Il revient à l’Assemblée nationale du Québec de déterminer de quelle façon s’organisent les rapports entre l’État et la religion. Il est de notre devoir, en tant que représentants élus, de faire valoir notre caractère distinct, nos spécificités et nos valeurs et de faire respecter nos choix collectifs », a poursuivi le ministre, rappelant que les dispositions de la loi continuent de s’appliquer malgré le jugement rendu mardi.

Dans son jugement, le juge Marc-André Blanchard suspend l’application de la loi pour les commissions scolaires anglophones et les élus. Il affirme aussi que la loi 21 ne respecte pas dans son ensemble la Charte canadienne des droits, mais rappelle que Québec a appliqué des clauses de dérogation pour s’en protéger.

« Ce jugement remet en question le droit du Québec à sa spécificité et nos capacités de faire nos choix par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Le Québec ne peut pas accepter une telle intervention du tribunal envers nos décisions collectives », a défendu le ministre Jolin-Barrette.

« Le Québec est une nation. Certains tentent de nous diviser, mais le Québec reste uni. Il est essentiel que les lois qui nous gouvernent soient en phase avec nos valeurs profondes », a-t-il ajouté.

Les oppositions divisées

Or, la loi 21 n’a jamais fait l’unanimité au Québec, où elle est contestée, ni à l’Assemblée nationale. Les partis d’opposition ont tour à tour commenté mardi le jugement du juge Marc-André Blanchard, y allant de réactions opposées.

La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, a d’abord rappelé que l’opposition officielle ne maintiendrait pas les clauses de dérogations sur la loi 21 si elle était portée au pouvoir.

« Le jugement d’aujourd’hui est une étape judiciaire d’un processus qui pourrait certainement culminer en Cour suprême », a prédit Mme Anglade.

À l’opposé, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, voit dans le jugement de la Cour supérieure une « preuve éclatante que le Québec n’est pas en mesure de légiférer sur son territoire ».

« Si vous vouliez une preuve de comment le cadre juridique canadien nous condamne à une imposition du modèle multiculturaliste sur le territoire québécois […] vous avez cette preuve », a-t-il dit, déplorant qu’« on vient nous dire que les anglophones au Québec sont différents des francophones ».

La cheffe de Québec solidaire, Manon Massé, a aussi déploré le fossé qui se creuse entre les Québécois francophones et anglophones avec ce jugement.

« On permet aux commissions scolaires anglophones de pouvoir, elles, porter des signes religieux, alors qu’on ne le permet pas aux centres francophones. C’est inquiétant. Ça veut dire que si vous voulez faire valoir vos droits, si vous voulez enseigner, allez enseigner du côté anglophone. Ouch, ça fait mal », a-t-elle dit.

Or, contrairement au chef péquiste, les solidaires n’appuient pas la loi sur la laïcité de l’État. Cette loi « discriminatoire » serait abrogée, advenant un gouvernement formé par leur parti.

La Loi sur la laïcité de l’État, adoptée en juin 2019, interdit entre autres aux enseignants du primaire et du secondaire, aux directions d’école, aux policiers et aux procureurs de la Couronne de porter des signes religieux lorsqu’ils travaillent.

Longue bataille à prévoir

En début d’après-midi, mardi, l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) ont prévenu que la bataille n’était pas gagnée et qu’ils n’allaient jamais arrêter de se battre pour s’assurer que tous les Québécois soient égaux.

« On avait espéré que la loi soit invalidée dans son intégralité. Ce n’est pas le résultat que nous espérions », a confié Talayeh Shomali de l’ACLC lors d’une conférence de presse virtuelle.

Devant l’école secondaire Westmount, des enseignants ont mentionné qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle pour les commissions scolaires anglophones, même s’il y avait encore beaucoup à faire pour les citoyens en général. Selon l’enseignant Robert Green, le jugement de mardi est une demi-victoire, parce qu’on s’aperçoit quand même que les droits fondamentaux ne sont pas protégés au Québec, a-t-il dit. M. Green a ajouté qu’il avait une pensée pour les élèves, dont les adolescentes qui portent le hijab, et qui n’auront pas le droit au même avenir que les autres jeunes. « Ce n’est pas juste », a-t-il lancé.

Pratiquement au même moment, devant le palais de justice de Montréal, le Mouvement laïque québécois (MLQ) prenait aussi la parole pour exprimer ses réactions.

« Nous recevons le jugement avec un certain soulagement, parce qu’il maintient la loi sur la laïcité, a dit la vice-présidente du MLQ, Lucie Jobin. Mais on déplore que ce maintien ne soit basé que sur les clauses dérogatoires. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La vice-présidente du Mouvement laïque québécois, Lucie Jobin.

Un des avocats du Mouvement, MGuillaume Rousseau, a ajouté que la clause dérogatoire a permis que le choix de l’Assemblée nationale l’emporte. MRousseau était conseiller au cabinet du ministre Jolin-Barrette lors de l’élaboration de la loi.

« C’est donc une victoire pour la clause dérogatoire, pour la liberté de conscience des élèves. On voit bien dans ce jugement-là que la clause dérogatoire ce n’est pas arbitraire, c’est un moyen pour le législateur de faire triompher sa vision », a-t-il mentionné.

En ce qui concerne la décision de suspendre l’application de la loi dans les écoles anglophones, il a affirmé que « les commissions scolaires anglophones devenaient des États dans l’État. Et ça, pour l’autonomie du Québec en matière d’éducation, c’est vraiment préoccupant ».