(Ottawa) Après avoir encaissé un désaveu de ses militants réunis en congrès sur l’enjeu de la lutte contre les changements climatiques, Erin O’Toole se retrouvera cette semaine dans une autre fâcheuse posture, cette fois sur la question de l’avortement, gracieuseté de l’une de ses députées.

Le dirigeant conservateur a annoncé dimanche après-midi qu’il se présenterait devant les caméras ce lundi à 10 h pour tenir une conférence de presse.

Pile à l’heure où, dans un édifice parlementaire situé de l’autre côté de la rue, sa députée antiavortement Cathay Wagantall discutera de son projet de loi sur les avortements sexo-sélectifs.

La mesure législative d’initiative parlementaire C-233 a été déposée pour une première fois en février 2020, mais la prorogation du Parlement l’a fait mourir au feuilleton. Mais la voici de retour au calendrier des travaux ; elle doit être débattue pour une première fois à la Chambre des communes pendant une heure, mercredi.

Et déjà, dans le camp libéral, on se frotte les mains de voir l’enjeu revenir sur le tapis.

« Les conservateurs vont débattre d’un autre projet de loi conçu pour retirer aux femmes le contrôle sur leur corps », a laissé tomber en secouant sa tête la ministre de la Condition féminine, Maryam Monsef, samedi au congrès du Parti libéral.

L’enjeu de l’avortement a été une véritable épine au pied de l’ancien chef conservateur Andrew Scheer au scrutin d’octobre 2019.

La ministre Monsef n’a pas raté l’occasion de le rappeler. « Nous avons vu aux dernières élections que nos corps étaient encore un enjeu électoral. Nous ne pouvons laisser cela se produire », a-t-elle lancé dans un panel sur l’égalité des genres.

Contrairement à son prédécesseur, qui était opposé à l’avortement, Erin O’Toole se dit clairement « pro-choix ». Mais il compte au sein de ses troupes une frange socialement à droite – une quarantaine de députés sur 120, environ – qui se proclame « pro-vie », et qui bénéficie de l’appui d’organisations comme la Campaign Life Coalition et We Need a Law.

Une représentante de We Need a Law doit prendre part à la conférence de presse de Mme Wagantall, ce lundi.

« Les avortements sexo-sélectifs sont [contraires] à l’égalité homme-femme, mais sont pratiqués au Canada car aucune loi ne les prohibe. Mon projet de loi contribuera à régler cette forme de discrimination dès les premières étapes de la vie », a déclaré l’élue dans sa convocation médiatique.

Avortement sexo-sélectif : un précédent

Le projet de loi concocté par la députée de la Saskatchewan propose d’amender le Code criminel pour « ériger en infraction le fait, pour un médecin, de pratiquer un avortement sachant que l’avortement est fondé uniquement sur le sexe génétique de l’enfant », lit-on dans son libellé.

Les chances que C-233 soit adopté sont très minces. Les projets de loi d’arrière-ban le sont rarement. De plus, il y a fort à parier que même s’il était mis aux voix dans la législature actuelle, une écrasante majorité des élus le bloqueraient.

Mentionnons par ailleurs qu’en 2013, une motion similaire du conservateur Mark Warawa, décédé en 2019, avait été déclarée « non votable », car de nature à empiéter sur une compétence provinciale… et de nature à embêter le premier ministre Stephen Harper, qui avait promis de ne pas rouvrir ce débat.

Après la première heure de débats, mercredi, C-233 devrait faire l’objet d’une deuxième heure d’échanges, le 14 mai. Les députés seraient alors appelés à voter pour décider s’ils envoient la mesure législative en comité parlementaire.

Le bureau du chef conservateur n’a pas répondu aux questions de La Presse, dimanche.

Une nuisance pour O’Toole

« Franchement, un député qui voudrait nuire au chef Erin O’Toole et au reste de l’équipe pour remporter des élections ne ferait pas pire », a réagi dimanche dans un courriel l’ancien stratège conservateur Yan Plante, ex-chef de cabinet du ministre Denis Lebel.

Car « chaque fois que des députés conservateurs ramènent de près ou de loin quelque chose qui ressemble à vouloir toucher au droit des femmes de disposer de leur corps, ils se tirent dans le pied », en particulier dans les villes, « où les conservateurs doivent faire des gains pour espérer former un gouvernement », a-t-il ajouté.

Et cela met des bâtons dans les roues des candidats québécois, a argué Yan Plante.

« Le slogan des conservateurs est qu’ils veulent agir pour le Québec. Ils devront peut-être commencer par agir pour mettre fin aux distractions des députés aussi concentrés sur l’enjeu de l’avortement », a fait valoir celui qui est maintenant à la firme d’experts-conseils TACT.