Pour son retour, Denis Coderre a réussi à se vanter sur toutes les tribunes d’être devenu humble.

Cela prenait du talent, et encore plus d’audace.

Valérie Plante est en danger. Elle risque de se faire voler sa carte maîtresse, celle de l’authenticité et de l’humilité.

En fin de règne, M. Coderre donnait l’impression d’un monarque bourru. La Ville, c’est moi, semblait-il croire. Il commandait une chasse aux sources journalistiques pour protéger son ego. Et il transformait ses loisirs personnels, comme le divertissement sportif, en priorités collectives.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Coderre a annoncé le 28 mars qu'il se lançait dans la course à la mairie de Montréal.

D’ailleurs, durant le temps qu’il a passé après sa défaite à méditer et à se ressourcer, il a travaillé entre autres pour Stingray, dont le président et chef de la direction, Eric Boyko, est l’un des hommes d’affaires derrière le projet de retour des Expos, et pour la Fédération internationale de l’automobile, qui gère la Formule E.

Je ne lis pas dans les âmes et je ne peux présumer de sa mauvaise foi. Peut-être que M. Coderre a vraiment changé. Ce ne serait pas tout à fait impossible. Mais je note surtout le renversement ironique des rôles.

Il n’a pas seulement piqué à Valérie Plante une partie de ses idées, comme son projet de ligne rose, qu’il méprisait pourtant.

Il lui emprunte aussi sa stratégie. Celle d’offrir l’humilité face à une mairie devenue intransigeante.

M. Coderre se targue de ne pas être dogmatique. En effet, il n’avait pas été élu en 2013 pour ses idées. Il s’était faufilé dans une course à quatre en offrant de faire le ménage après les scandales de l’administration Tremblay.

Il l’a bien fait. Mais il n’était pas pour autant aimé pour son équipe ou son programme.

Mme Plante, elle, s’intéresse depuis le début à l’urbanisme. Cela se voit par exemple avec son réaménagement du square Phillips. Qu’on aime ou non, une vision l’anime.

Son parti a aussi une véritable base militante. Cela l’a aidé à organiser sa campagne électorale et à faire voter ses sympathisants. Le taux de participation dans une élection municipale étant bas (42,5 % en 2017), cet avantage est crucial.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, lors du dévoilement du plan de relance du centre-ville, le 18 mars dernier

Mais cette force est devenue une faiblesse. La mairesse a créé des attentes impossibles. À écouter certains militants, Montréal était à l’aube de la révolution en novembre 2017. Comme d’habitude, il y a eu des lendemains qui déchantent.

Dans son équipe, certains ne comprenaient pas qu’un élu d’arrondissement n’ait pas un droit de veto et que les décisions ne puissent pas se prendre à l’unanimité. Les plus ingérables confondaient cela avec une dictature.

Mme Plante a une part de responsabilité. Elle n’a pas su élargir le cercle de son entourage. Particulièrement dans les dossiers économiques.

Pour les PME et les petits commerçants, le travail a été dans l’ensemble bien mené. Par exemple, le taux de taxation a été baissé pour réduire l’écart avec d’autres métropoles.

Mais pour les plus grands projets, c’était le silence. On cherche en vain une voix forte à Projet Montréal à ce sujet.

Même si M. Coderre n’inspirait pas davantage la communauté des affaires, il avait attiré dans son équipe feu Marcel Côté comme conseiller et Pierre Desrochers comme président de son comité exécutif.

La mairesse a aussi donné une impression de désordre durant la pandémie, en construisant le Réseau express vélo (REV).

Pour être clair, j’y suis favorable. Cela me semble une formidable idée. Enfin, Montréal offre un axe sécuritaire nord-sud pour les cyclistes. Cela promeut la santé, réduit la pollution et évite des accidents. Ce n’est pas du radicalisme, c’est le gros bon sens de demain.

Mais le REV a été construit alors que les commerçants se remettaient à peine de la COVID-19, et que les voies actives sécuritaires, une mesure ponctuelle, compliquaient les déplacements.

Vrai, si elle l’avait construit plus tôt, cela aurait écourté les consultations. Et si elle avait attendu davantage, le chantier aurait perturbé la Ville en pleine troisième vague. Mais à tout le moins, Mme Plante n’avait pas besoin d’en rajouter en disant qu’elle n’avait « pas été élue pour plaire à tout le monde ». Un peu plus d’empathie aurait été bienvenue.

D’autant que pour la mairesse, l’écoute est une qualité naturelle.

Elle doit trouver sa façon de dire elle aussi « j’ai appris ». En recrutant à l’externe, si possible, pour combler les angles morts de son parti.

La bataille s’annonce rude. Si certains croient que Denis Coderre n’a pas changé, personne ne doute qu’il a tiré les leçons de sa défaite. Cette fois, sa stratégie sera différente. On ne le verra plus tomber sur Valérie Plante avec condescendance comme il l’avait fait en 2017, l’air de dire : « Jeune dame, laissez-moi vous expliquer… »

Cette fois, il met sur la table de nombreuses idées. Certaines le distinguent de sa rivale, comme la réglementation allégée en matière de logement social. D’autres s’en inspirent, comme ses projets de lignes de métro.

M. Coderre aura un programme et il ne refera pas la même campagne. Mme Plante ne doit pas répéter ses erreurs. Sinon, elle subira le même sort que lui.