(Québec) Mercredi, quelques heures avant que François Legault annonce le reconfinement de Québec, de Lévis et de Gatineau, les directeurs régionaux de santé publique avaient été prévenus du virage qu’allait prendre le gouvernement. Les décisions étaient prises : le premier ministre allait publiquement parler de la « décision de la Santé publique ». En fait, ce verdict était le sien.

Certains directeurs étaient proches de la panique, confie un témoin. Le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique, qui, jusqu’à la dernière minute, avait soutenu que la situation était « stable », accusait le coup, brutalement. Il « aurait continué encore [à attendre], c’est le politique qui a tranché », explique-t-on en coulisses.

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Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique, et François Legault, premier ministre du Québec

Pour Québec et Chaudière-Appalaches, on ne parlait plus d’augmentation exponentielle des cas ; « c’était parti en fusée », avait finalement reconnu le directeur national de santé publique. Le Dr Arruda attend toujours d’avoir davantage de chiffres avant de prendre une décision. C’est probablement lui que visait François Legault quand il a dit publiquement : « le mieux est l’ennemi du bien ».

Le point de presse de la veille avait servi à préparer les esprits, à nommer les cinq régions où le nombre de cas devenait à l’évidence incontrôlable. Tout aussi incontrôlable que le DArruda, qui, la veille, dans une entrevue avec La Presse, soutenait qu’il ne fallait pas paniquer. « Même si j’ai 2000 cas au Québec, mais qu’on n’a pas d’hospitalisations ou de décès de façon importante, on peut vivre avec », avait-il alors déclaré.

On ne pouvait se permettre d’attendre à jeudi pour annoncer la fermeture d’écoles ; le congé du Vendredi saint aurait empêché les parents de récupérer le matériel scolaire dont ils auraient besoin. On peut faire des hypothèses sur l’origine du coup de barre de cette semaine. Les décideurs politiques sont éminemment réceptifs à toute allusion aux problèmes de santé mentale qui peuvent découler des mesures d’isolement. Les cas de féminicides résonnent fort dans les officines à Québec, constate-t-on dans le monde de la santé publique.

De l’optimisme à la prudence

On parle souvent de la « Santé publique » en présumant qu’elle s’exprime d’une manière univoque. Ce n’est guère connu, mais la décision de Québec d’envoyer dans d’autres régions, pour leur venir en aide, 34 000 doses de vaccin destinées à Montréal a soulevé des protestations chez Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal, qui rappelait que la métropole avait été l’épicentre de la pandémie.

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La Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal

Peu de jours séparent l’appel du DAndré Dontigny, de la région de Québec, en faveur du passage du rouge à l’orange, de la décision unilatérale de son collègue Sylvain Leduc, du Bas-Saint-Laurent, de fermer les écoles devant le nombre d’éclosions. Chacun dans leur région, les directeurs sont exposés aux arguments des entrepreneurs, des médias locaux. Leur opinion s’appuie sur la science, mais, il faut l’admettre, aussi sur les pressions de leur milieu, a expliqué l’un d’eux à La Presse.

« Les directeurs de santé publique sont comme les autres membres de la population et vivent ce qu’on appelle les différents cycles de peur, a admis le Dr Arruda en conférence de presse. Les mêmes personnes qui, aujourd’hui, revendiquent d’être plus prudents, il y a trois, quatre semaines, revendiquaient qu’on relâche parce que les gens n’en pouvaient plus », a-t-il ajouté.

Il faut dire que dans les semaines précédentes, François Legault avait cautionné l’optimisme ambiant. La région de Québec était passée à l’orange, les restaurateurs avaient rempli leurs frigos, dans tout le Québec, les salles d’entraînement ouvraient leurs portes, bien qu’à l’évidence, elles allaient devenir un vivier du virus.

Au même moment, les directeurs de santé publique étaient bien moins décidés à baisser la garde. Déjà, certains soutenaient qu’il vaudrait mieux attendre après Pâques pour mieux évaluer la situation.

Pour François Legault, le Québec allait « résister » au variant et éviter la troisième vague, une déclaration téméraire, qui n’était certainement pas cautionnée par la Santé publique, confie-t-on. Trois jours plus tard seulement, c’était la retraite dans le désordre : le variant était bien présent, la troisième vague aussi.

Son empressement rappelait d’autres embellies : l’automne dernier et le déconfinement des Fêtes, des éclaircies vite évacuées par le progrès de la pandémie. Une seule balise semble pour l’heure résister : tout le monde pourra être vacciné avant la Saint-Jean.

Mais tout au long du mois de mars, les avis s’accumulaient, contraires à la vision de François Legault. À Ottawa, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam multipliait les mises en garde, avec autant de graphiques illustrant la flambée des cas, prévisibles, à défaut d’un resserrement des mesures sanitaires. Au Québec, le Collège des médecins, l’Ordre des infirmières, bien des spécialistes, dont la Dre Cécile Tremblay, préconisaient d’une seule voix que le gouvernement reporte tout relâchement des mesures de prévention. Rien n’y a fait. Mais les signaux rassurants lancés par M. Legault la semaine dernière reflétaient clairement l’optimisme constaté par le sondage de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) publié le 23 mars. Ainsi, 58 % des gens pensaient que le pire de la crise était chose du passé ; seulement 14 % des gens appréhendaient des lendemains plus difficiles.

Le niveau d’inquiétude, variable, reflète aussi des situations fort différentes d’une région à l’autre, insiste-t-on chez les décideurs à Québec. Pourquoi écrouer une région comme la Mauricie alors que tout indique que la population adhère aux consignes de prudence, que le nombre de cas reste maîtrisé ? Pourquoi donner un tour de vis à Montréal alors qu’on y contrôle mieux qu’ailleurs la circulation des cas de variant ? L’imposition d’une fermeture globale, un shutdown comme on dit dans l’industrie, aurait été, plus simple, mais plus dommageable aussi.

Plus de contacts

Dans son enquête du 23 mars, l’INSPQ soulignait que le « score d’adhésion à trois mesures recommandées à travers le temps » n’avait pas bougé depuis la mi-février. Il était depuis longtemps beaucoup plus bas chez les 18-24 ans (26 %), à peine mieux chez les 25-44 ans, 33 %, loin des 63 % d’adhésion des gens de plus de 60 ans. L’inquiétude quant au risque d’attraper la COVID-19 suivait la même tendance.

Surtout, quand on leur demandait s’ils étaient prêts à maintenir les mesures recommandées, 60 % des gens, une claire majorité, se disaient disposés « encore quelques semaines » à respecter les règles – 23 % disaient que ce serait pour eux très difficile.

Mais une étude plus récente du DMarc Brisson, de l’INSPQ, montre une augmentation du nombre de contacts quotidiens entre les Québécois. On était à huit contacts quotidiens avant la pandémie, on avait réduit à trois au confinement du printemps 2020. Après une brève réduction à cause de la relâche – les écoles étaient fermées –, le nombre de contacts est remonté à quatre ou cinq par jour. De la même manière, le nombre de Québécois qui ont reconnu avoir visité des amis chez eux ou les avoir reçus a augmenté « significativement », de 38 % l’automne dernier à 46 % durant la semaine de relâche.

« Une tendance à l’augmentation des contacts sociaux est remarquée depuis janvier 2021 ; les contacts de février et mars étant similaires aux contacts de l’automne dernier », résument les auteurs. Pour eux, « cette tendance à l’augmentation des contacts pourrait être expliquée par les assouplissements des mesures sanitaires et une baisse d’adhésion de la population à ces mesures ». En conséquence, « en présence d’un variant plus transmissible, un retour aux niveaux de contacts de l’automne pourrait occasionner un nombre de cas de la COVID-19 beaucoup plus élevé », conclut-on.