(Ottawa) Les finances publiques des provinces ne sont pas viables à long terme. Tôt ou tard, la majorité d’entre elles vont se heurter à un mur d’endettement.

Ce constat se retrouve dans un document fédéral destiné à un comité de sous-ministres qui a été mis sur pied afin d’étudier les options qui pourraient s’offrir au gouvernement Trudeau s’il décidait de modifier le filet social pour offrir un revenu minimum garanti aux Canadiens moins nantis.

« Le Canada affiche le ratio dette/PIB le plus bas du G7, mais la trajectoire des dettes nettes des provinces est insoutenable », peut-on lire dans le document fédéral, accompagné d’un graphique montrant les projections d’endettement des provinces et du gouvernement fédéral.

Ce constat pourrait donner de nouvelles munitions aux provinces au moment où l’Ontario et le Québec donneront le coup d’envoi de la saison des budgets cette semaine. Le gouvernement Ford déposera son budget mercredi à Queen’s Park, tandis que le gouvernement Legault présentera le sien jeudi à l’Assemblée nationale.

Depuis quelques mois, les provinces pressent Ottawa d’augmenter, dès son prochain budget, les transferts afin de financer 35 % des coûts des soins de santé. À l’heure actuelle, Ottawa paie environ 22 % de la facture. Cette demande forcerait le gouvernement fédéral à majorer les transferts en santé de 28 milliards de dollars par année. Dans plusieurs provinces, la santé accapare près de la moitié du budget annuel.

Jusqu’ici, le premier ministre Justin Trudeau a écarté cette demande, affirmant que sa priorité est de s’attaquer à la pandémie de COVID-19 et de vacciner la population. Il s’est dit prêt à discuter de cette épineuse question plus tard, tandis que le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique appuient la requête des provinces.

Interrogé lundi lors de son passage à Trois-Rivières, M. Trudeau a toutefois ouvert davantage la porte. « Nous allons être là pour un investissement récurrent pour le long terme. Mais j’ai aussi très clairement dit que notre préoccupation, c’est la pandémie dans laquelle on se retrouve avec des besoins immédiats à court terme », a-t-il dit.

Ce document de plus de 70 pages, obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, a été préparé par le sous-ministre du ministère de l’Emploi et du Développement social, Graham Flack, en septembre dernier, avant que la deuxième vague de la pandémie de COVID-19 ne frappe le pays et force les provinces à imposer de nouvelles mesures de confinement.

Le document sur la « croissance inclusive » s’appuie sur des données qui ne tiennent pas compte des conséquences de la pandémie sur les revenus et les dépenses des provinces, ou encore du déficit fédéral qui a explosé au cours des 12 derniers mois et qui devrait atteindre les 400 milliards de dollars.

Ce déficit record à Ottawa devrait faire passer le ratio dette/PIB d’environ 30 % à près de 50 %. Malgré tout, le Canada continuera d’afficher l’un des meilleurs ratios des pays du G7 à cet égard.

En novembre, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a publié une mise à jour sur la viabilité financière du gouvernement fédéral et des provinces qui tient compte des mesures budgétaires prises par le gouvernement Trudeau et de celles des provinces pendant la pandémie.

Et il est arrivé à la même conclusion. Seulement trois provinces affichent une marge de manœuvre financière qui leur permettrait d’augmenter leurs dépenses ou de réduire les impôts sans sombrer dans une spirale d’endettement excessif : le Québec, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse.

« Si l’on part du principe que les dépenses engagées pendant la pandémie sont temporaires, la politique budgétaire actuelle est viable à long terme à l’échelle fédérale. Par contre, la plupart des provinces sont dans une situation insoutenable à long terme », statuait Yves Giroux dans son rapport.

Et il soulignait à grands traits que l’augmentation des coûts des soins de santé attribuable au vieillissement de la population continuerait d’entraîner une détérioration des finances des provinces et des territoires à long terme.

Pour le Bloc québécois, le document fédéral vient confirmer ce que certains avancent depuis plusieurs mois. « Il y a urgence d’augmenter les transferts en santé. Les provinces le demandent depuis longtemps. Le Conseil de la fédération a publié une étude à ce sujet. Le Conference Board a dévoilé une étude en octobre qui disait la même chose. Et le directeur parlementaire, qui est l’autorité suprême en termes de rigueur, arrive aux mêmes conclusions. Il faut mieux financer la santé. Ça urge », a affirmé le député bloquiste Gabriel Ste-Marie.

Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, est du même avis. « Quand une province comme le Québec consacre tout près de 50 % de son budget à la santé, c’est l’éléphant dans la pièce. C’est massif. Le fédéral doit faire sa part pour donner de l’oxygène aux provinces », a-t-il dit.