(Québec) C’est évidemment plus une affaire de raison que de passion qui pousse François Legault et Justin Trudeau à se présenter ensemble, en personne, sur la même tribune ce lundi. Une première depuis décembre 2019.

Après une rencontre privée de 30 minutes, les deux premiers ministres annonceront à 10 h 30 leur contribution au financement d’un projet d’usine de batteries électriques de la société Lion, constructeur québécois d’autobus et de camions urbains électriques, comme le révélait La Presse samedi. Ils se retrouveront au Palais des congrès de Montréal, dans une aire à l’écart des espaces utilisés pour la campagne de vaccination contre la COVID-19.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Justin Trudeau et François Legault annonceront ce lundi à 10 h 30 leur contribution au financement d’un projet d’usine de batteries électriques de la société Lion, constructeur québécois d’autobus et de camions urbains électriques. Ce sera la première rencontre des deux hommes en personne depuis décembre 2019 (photo).

D’un côté, François Legault veut développer une filière de batteries électriques. L’aide fédérale n’est pas de refus : la compétition entre les États est féroce pour attirer des investissements dans ce secteur — c’est « complètement fou ! » résume-t-on à Québec. L’essor des véhicules électriques crée cette frénésie. Qui aurait cru il n’y a pas si longtemps que la mythique Jaguar (Tata Motors) annoncerait que son parc automobile sera 100 % électrique dès 2025 ? Québec vient d’annoncer son intention d’interdire la vente de véhicules neufs à essence en 2035.

De l’autre côté, Justin Trudeau a promis des milliers d’emplois avec des investissements dans les technologies vertes lors de son discours du Trône, en septembre. On anticipe une série d’annonces au moment où le premier ministre fédéral tente d’ouvrir une fenêtre pour des élections printanières, poussé par l’espoir que soulève la campagne de vaccination. L’automne dernier, il a annoncé 295 millions pour la conversion d’une usine de Ford à Oakville, en Ontario, afin qu’elle assemble désormais des véhicules entièrement électriques. Des projets sont également dans les cartons pour Windsor, le cœur de l’industrie automobile canadienne. Toute cette agitation de l’autre côté de la rivière des Outaouais est suivie à Québec, qui veut sa part du gâteau.

Ici, les intérêts de François Legault et de Justin Trudeau convergent. Allons plus loin, puisque l’on n’a pas l’occasion de l’écrire souvent : MM. Legault et Trudeau s’entendent !

Pour le reste… Tant les sépare qu’on se demande par où commencer.

On ne compte plus les accrochages entre les deux premiers ministres depuis le début de la pandémie — sur les frontières, la Prestation canadienne d’urgence (PCU), l’implication de l’armée, la quarantaine des voyageurs, les vaccins, les normes dans les centres d’hébergement pour aînés… Mais le tout se passait par médias interposés, jamais en personne. Ils ont eu des entretiens privés de façon virtuelle ou au téléphone, avec les autres premiers ministres des provinces et des territoires, dans la dernière année ; plusieurs auraient aimé être à l’écoute pour connaître le ton des discussions. Dans ce contexte, la conférence de presse de lundi pourrait être divertissante.

Rencontre en 2019

La dernière rencontre entre les deux hommes remonte au 13 décembre 2019, aussi bien dire à l’âge de l’insouciance. C’était environ deux semaines avant que l’Organisation mondiale de la santé ne soit alertée par son bureau de Pékin au sujet d’une mystérieuse « pneumonie virale » apparue à Wuhan.

C’était un entretien entre les deux premiers ministres, et il n’y avait pas eu d’annonce et de conférence de presse comme on le verra lundi.

Les différends étaient déjà nombreux entre MM. Legault et Trudeau à l’époque. Mais on n’avait pas voulu se chicaner sur la place publique. « Je lui ai rappelé l’importance de respecter la décision de la nation québécoise sur la loi 21 interdisant les signes religieux pour les personnes en position d’autorité », disait François Legault. Justin Trudeau n’a jamais écarté formellement l’idée de prendre part un jour à la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État. La décision du juge Marc-André Blanchard est d’ailleurs attendue bientôt. Peu importe le verdict, la cause sera sûrement portée en appel.

C’est tout de même savoureux de voir que les deux gouvernements se croisent aujourd’hui sur le terrain « identitaire », si l’on veut. La ministre fédérale Mélanie Joly vient de présenter une réforme de la Loi sur les langues officielles, et le ministre québécois Simon Jolin-Barrette doit déposer bientôt une refonte de la loi 101.

Mais en ce 13 décembre 2019, le premier ministre François Legault avait surtout insisté sur l’existence d’un « accord » à « finaliser » avec son homologue au sujet de la nécessité de financer des projets de trains et de tramways électriques au Québec — promesse de la Coalition avenir Québec. Une autre affaire de raison.

Le tramway

Le premier ministre québécois glissera peut-être un mot à Justin Trudeau à propos du dossier du tramway de la ville de Québec. Il y a eu déblocage dans les discussions avec le maire Régis Labeaume : des compromis de part et d’autre sont en voie de mener à un trajet d’ouest en est, du secteur Legendre à Cap-Rouge — près de l’IKEA — jusque dans D’Estimauville — en retranchant tout le tronçon nord vers Charlesbourg. Il n’est pas exclu que des fonds supplémentaires soient requis, alors que le fédéral s’est engagé à hauteur de 1,2 milliard dans ce projet de 3,3 milliards (1,8 milliard pour Québec).

Une fois le dossier réglé, François Legault doit dévoiler son projet de tunnel Québec-Lévis, le fameux « troisième lien » dont le coût est toujours inconnu. L’intention d’y aménager des voies réservées aux autobus électriques, avec quelques stations à Lévis, sera probablement l’une des raisons invoquées par Québec pour frapper à la porte d’Ottawa.

Mais c’est une autre question d’argent qui préoccupe au plus haut point le gouvernement Legault en ce moment.

Il réclame une hausse des transferts fédéraux en santé de 6,2 milliards par année pour qu’Ottawa finance 35 % des dépenses dans ce secteur au lieu de 22 % — on parle de 28 milliards pour l’ensemble des provinces et des territoires. Il ne manquera pas de le rappeler à M. Trudeau lors de leur tête-à-tête.

Les transferts fédéraux en santé augmentent d’environ 3 % par année, tandis que les dépenses des provinces bondissent de 5 % à 6 %. Les avancées technologiques en sont en partie responsables, tout comme le vieillissement de la population. La société québécoise vieillit plus vite qu’ailleurs, et 2021 est en voie de marquer un tournant historique : pour la première fois, les 65 ans et plus devraient être plus nombreux que les moins de 20 ans d’ici à la fin de l’année.

L’enjeu est crucial pour le gouvernement Legault, dont les finances sont plongées dans le rouge et dont le réseau de la santé a montré sa fragilité avec la pandémie. Le ministre des Finances, Eric Girard, n’a pas fait de cachettes à ce sujet : pour sortir du trou budgétaire d’ici cinq ans, il compte en partie sur Ottawa — lui-même très déficitaire ! Autrement, il faudra réduire davantage les dépenses ou encore espérer une relance économique dopée aux stéroïdes, a-t-il expliqué en substance. Il présentera sa feuille de route dans son budget qui part à l’imprimerie cette semaine pour un dépôt le 25 mars.

La bataille est déjà bien amorcée avec Ottawa, puisque François Legault, comme président du Conseil de la fédération, a ligué ses homologues des provinces derrière cet enjeu. Le moment est propice pour exercer des pressions.

On n’a pas vu de budget depuis maintenant près de deux ans à Ottawa. Et le déclenchement d’élections plane.

Aussi bien dire que l’on aura devant nous, lundi, deux premiers ministres en campagne.