(Ottawa) Si le Bureau du Conseil privé s’est contenté de produire des documents unilingues anglais au sujet de la pandémie, c’est la faute du Parti conservateur qui n’a pas spécifié dans sa motion qui a été adoptée par la Chambre des communes, l’automne dernier, que ces documents devaient être traduits en français.

C’est du moins l’argument inusité qu’a servi le lieutenant politique de Justin Trudeau au Québec, le ministre Pablo Rodriguez, en réponse aux questions du député conservateur Alain Rayes plus tôt cette semaine.

La Presse a rapporté mardi que le Bureau du Conseil privé a enfreint la Loi sur les langues officielles en envoyant au comité de la santé des milliers de pages de documents unilingues anglais en lien avec la gestion de la pandémie.

Cet accroc à la Loi sur les langues officielles est survenu au moment même où le gouvernement Trudeau se dit inquiet du déclin de la langue française au pays. Et cela a récemment valu au Bureau du Conseil privé – une agence centrale qui est en quelque sorte l’équivalent du ministère du premier ministre – de sévères critiques de la part du bureau du légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes.

« Si le respect des langues officielles était aussi important pour eux, ils auraient fait cette demande dans leur motion à laquelle le gouvernement s’est opposé. C’est une motion qui demandait que tous les documents soient envoyés directement au légiste. Ils donnaient au légiste la responsabilité de la traduction. À aucun moment, on ne faisait référence aux langues officielles dans cette motion. C’était leur demande. C’est la démonstration qu’ils n’ont accordé aucune importance au respect des langues officielles, contrairement au gouvernement », a avancé Pablo Rodriguez aux Communes mardi.

Cette réponse a fait bondir de colère le député Alain Rayes. « Quand je commande un meuble de la compagnie suédoise IKEA, je reçois la boîte et un manuel d’instructions — on le devine — en français. Toutefois, quand il est question de documents officiels du gouvernement sur la gestion de la pandémie, c’est impossible de les avoir en français. Le premier ministre se vante de vouloir défendre les droits des francophones ; or il n’est même pas capable de régler les problèmes au sein de son propre ministère », a affirmé M. Rayes.

Dans une récente lettre envoyée au greffier du comité de la santé, le légiste et conseiller parlementaire Philippe Dufresne a été catégorique. « Le gouvernement a l’obligation de fournir des copies bilingues des documents pour qu’ils puissent être déposés à la Chambre et distribués au Comité dans les deux langues officielles, conformément à ses obligations au titre de l’article 8 de la Loi sur les langues officielles et de l’article 32(4) du Règlement », a-t-il écrit.

Son bureau, qui donne des avis juridiques et des conseils aux comités, aux députés et aux dirigeants de la Chambre des communes, a jusqu’ici reçu près de 8000 pages de documents relativement à « la situation d’urgence à laquelle les Canadiens font face avec la deuxième vague de la pandémie de la COVID-19 », comme le stipulait une motion présentée par le Parti conservateur en octobre et adoptée par la Chambre des communes. D’autres documents devraient lui être remis chaque mois.

« Comme la majorité de ces documents ont été fournis dans une seule langue officielle, ils ne peuvent pas être déposés à la Chambre ni être transmis au Comité tant qu’ils n’auront pas été traduits », précise M. Dufresne dans sa lettre.

M. Dufresne a aussi envoyé une missive au Bureau du Conseil privé lui demandant de corriger la situation en février. Dans un premier temps, on lui a répondu que l’urgence de la pandémie expliquait l’absence du français. Et on l’a invité à faire lui-même le nécessaire pour veiller à la traduction des documents. Au besoin, le bureau du légiste pourrait faire une demande pour obtenir des fonds supplémentaires pour s’acquitter de cette tâche.

Pour le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, le gouvernement Trudeau affiche son mépris envers la langue française en agissant de la sorte.

« C’est un manque de respect flagrant pour le français et pour le travail parlementaire. C’est l’hypocrisie libérale en pleine action. Les libéraux savaient très bien que les documents devaient être déposés dans les deux langues officielles ; ça sent la tactique d’obstruction à plein nez ! Ça confirme d’ailleurs que les libéraux ne sont pas sincères dans leur démarche de réforme de la Loi sur les langues officielles. Comment peuvent-ils prétendre réformer cette loi s’ils ne peuvent même pas respecter ses dispositions actuelles ? C’est lamentable », a-t-il affirmé.

Ce dossier a de nouveau été soulevé aux Communes mercredi par le chef du NPD Jagmeet Singh et le député du Bloc québécois Mario Beaulieu.

« Le premier ministre a un gros déficit de crédibilité quand il dit qu’il va défendre le français au Québec. Son propre bureau a enfreint la Loi sur les langues officielles […] La loi est claire. Le gouvernement a l’obligation de fournir des copies des documents dans les deux langues officielles », a dit M. Beaulieu.

Le premier ministre Justin Trudeau a rétorqué que le comité de la santé a reçu les documents dans les deux langues officielles après avoir été traduits à la demande du légiste.

« Nous avons fourni au légiste des milliers de documents demandés et le comité a ensuite reçu ces documents dans les deux langues officielles », a-t-il dit.