(Québec) Les partis d’opposition s’inquiètent qu’une frontière soit franchie entre le pouvoir exécutif et l’indépendance du pouvoir judiciaire dans le bras de fer qui oppose Simon Jolin-Barrette à la juge en chef de la Cour du Québec.

La Presse révélait mardi que le ministre de la Justice du gouvernement Legault refuse d’exiger le bilinguisme (français et anglais) pour les juges nommés dans certains palais de justice de la province. La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, estime pour sa part que la maîtrise des deux langues officielles est essentielle dans certaines régions, notamment dans le Grand Montréal.

Dans une lettre officielle transmise en février dernier, que La Presse a consultée, la juge Rondeau a écrit que « la branche exécutive de l’État, qui a le pouvoir de contraindre les citoyens à comparaître devant la cour, n’a pas celui d’organiser le travail des juges qui la composent ».

La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, affirme « qu’il faut réellement diviser le rôle de l’exécutif et le rôle de la magistrature ».

« Lorsque la magistrature vous dit qu’elle a besoin d’un juge bilingue, je pense que l’importance de l’indépendance des rôles [entre l’exécutif et le judiciaire] doit être préservée », a-t-elle souligné mardi au premier jour de la reprise des travaux parlementaires à Québec.

Manon Massé, de Québec solidaire, croit aussi que « quand l’exécutif vient "enligner" ce que le juridique demande, […] c’est sûr qu’on peut s’inquiéter. »

« Notre démocratie a voulu distinguer le juridique du politique », a rappelé la cheffe solidaire, soulignant toutefois que « sur la question du bilinguisme, il faut être clair que le Québec, c’est principalement en français ».

Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a pour sa part affirmé que « l’intervention de Simon Jolin-Barrette est pertinente, dans le sens que [l’exigence du bilinguisme] devient une forme de discrimination pour certaines candidatures dans un système où la langue française devrait être utilisée, convenue par tous. »

« Mais je veux mettre en contexte cette intervention-là qu’on a apprise ce matin. Combien de juges ne sont pas bilingues dans la grande région de Montréal ? Je l’ignore, mais ce n’est pas la dizaine de juges dont il est question qui permettra de changer la trajectoire que la langue française est en train de connaître au Québec », a-t-il ajouté.

Le cabinet du ministre réagit

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, n’a accordé aucune mêlée de presse, mardi, et a décliné notre demande d’entrevue. Son cabinet a toutefois fourni à La Presse quelques précisions, affirmant que « la maîtrise d’une autre langue que le français peut être exigée lorsque nécessaire. »

« Nous ne remettons aucunement cela en cause, a-t-on souligné. Cela étant dit, à ce jour aucune donnée probante ne permet d’expliquer pourquoi, par exemple, dans un district donné où la vaste majorité des dossiers sont traités en français et où les juges actuellement en poste sont bilingues pour la plupart, il serait malgré tout requis d’exiger systématiquement la maîtrise d’une autre langue que le français. »