(Ottawa) Au moment même où le gouvernement Trudeau se dit inquiet du déclin de la langue française au pays et promet des mesures pour la renforcer, le Bureau du Conseil privé fait fi de la Loi sur les langues officielles en remettant au comité de la santé — et à la Chambre des communes — des milliers de pages de documents unilingues en anglais en lien avec la gestion de la pandémie.

Cet accroc à la Loi sur les langues officielles a récemment valu au Bureau du Conseil privé — une agence centrale qui est en quelque sorte le ministère du premier ministre — de sévères critiques de la part du bureau du légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, a appris La Presse.

En plus de contrevenir à cette loi, la décision du Bureau du Conseil privé a pour effet de paralyser les travaux du comité qui s’est vu confier par la Chambre des communes, à la suite d’une motion adoptée en octobre dernier, le mandat d’examiner la réponse du gouvernement à la pandémie. La raison ? En vertu des règlements, le greffier d’un comité ne peut distribuer aux députés qui y siègent les documents s’ils ne sont pas dans les deux langues officielles.

« Le gouvernement a l’obligation de fournir des copies bilingues des documents pour qu’ils puissent être déposés à la Chambre et distribués au Comité dans les deux langues officielles, conformément à ses obligations au titre de l’article 8 de la Loi sur les langues officielles et de l’article 32(4) du Règlement », écrit le légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, Philippe Dufresne, dans une lettre datée du 2 mars envoyée au greffier du comité de la santé.

Son bureau, qui donne des avis juridiques et des conseils aux comités, aux députés et aux dirigeants de la Chambre des communes, a jusqu’ici reçu près de 8000 pages de documents relativement à « la situation d’urgence » causée par la pandémie de COVID-19.

Comme la majorité de ces documents ont été fournis dans une seule langue officielle, ils ne peuvent pas être déposés à la Chambre ni être transmis au Comité tant qu’ils n’auront pas été traduits.

Philippe Dufresne, légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes

Autre omission du Bureau du Conseil privé : les contrats conclus entre le gouvernement fédéral et les sept sociétés pharmaceutiques qui produisent des vaccins ou sont en voie d’en produire n’ont pas été remis, même si la motion adoptée par les Communes l’exigeait en toutes lettres.

« Le plus rapidement possible »

Le mois dernier, M. Dufresne a écrit au greffier du Conseil privé, Ian Shugart, pour lui demander à nouveau quand il comptait lui remettre une copie des documents traduits pour qu’il puisse les acheminer ensuite au comité de la santé.

Dans sa réponse, le Bureau du Conseil privé invoque l’urgence de la pandémie pour expliquer l’absence du français. Et il s’en remet au bureau du légiste pour veiller à la traduction des documents — une invitation qui a laissé M. Dufresne perplexe.

« En répondant à l’ordre [de la Chambre des communes], l’objectif premier du gouvernement du Canada est d’être aussi réceptif que possible à la motion, tout en maintenant sa capacité de répondre aux enjeux de santé publique liés à la pandémie de COVID-19. […] Les documents sont fournis dans la langue dans laquelle ils sont disponibles dans nos systèmes afin qu’ils soient accessibles le plus rapidement possible », affirme la sous-greffière Chrystine Tremblay, dans une lettre datée du 26 février et rédigée en français.

La sous-greffière ajoute que « le gouvernement reconnaît l’importance de fournir les documents au comité dans les deux langues officielles », mais soutient que le bureau du légiste et conseiller parlementaire est « le mieux placé pour déterminer l’ordre dans lequel les documents devraient être traduits et fournis au comité ». Au besoin, son bureau peut faire une demande pour obtenir des fonds supplémentaires pour s’acquitter de cette tâche, selon elle.

Vive réaction de l’opposition

Responsable du dossier des langues officielles pour le Parti conservateur, le député Alain Rayes a vivement dénoncé cette situation.

C’est un autre exemple du discours vertueux de la ministre Mélanie Joly. D’un côté, elle nous parle de l’importance du français et d’en faire la promotion. Mais elle n’est même pas capable de faire appliquer sa propre loi.

Alain Rayes, député conservateur et responsable du dossier des langues officielles

Il a rappelé que le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge a publié l’an passé un rapport dans lequel il déplorait que la langue française ait été mise de côté à plusieurs reprises durant la crise sanitaire. Ce dernier évoquait notamment la décision de Santé Canada d’autoriser l’étiquetage en anglais seulement des contenants de désinfectants et antiseptiques produits durant la pandémie, et l’envoi d’alertes de la part de la Sécurité publique en anglais seulement, entre autres choses.

« On le voit encore en ce moment en situation de crise, nos propres documents que l’on devrait avoir dans les deux langues officielles pour pouvoir faire notre travail, les fonctionnaires nous disent qu’ils ne peuvent les avoir parce que le gouvernement n’a pas donné les bonnes directives. Les libéraux passent leur temps à faire la leçon à tout le monde, mais ils n’appliquent même pas la loi actuelle », a ajouté M. Rayes.