Ce qui aurait dû inquiéter Erin O’Toole, ce n’est pas que son député Derek Sloan ait accepté un don d’un néonazi. C’est que cet homme ait choisi le Parti conservateur.

Mais en expulsant M. Sloan, le chef conservateur envoie un message clair : les racistes et les autres extrémistes ne sont pas les bienvenus dans son parti. L’air vient de s’assainir.

N’empêche que ce n’était pas tout à fait prévu.

Après l’assaut du Capitole américain par des militants d’extrême droite, beaucoup se sont demandé : et si ça arrivait chez nous ? Les libéraux en ont profité pour rappeler que 40 % des sympathisants conservateurs appuyaient Donald Trump.

M. O’Toole a transformé cette critique en occasion de faire le ménage. À son initiative, les députés ont voté pour expulser M. Sloan de leur caucus.

Le chef a réussi son test de leadership, et ses députés se libèrent d’un boulet. À la veille de la prochaine campagne électorale, ils deviennent plus présentables.

Bien sûr, le don du néonazi ressemble très fort à un prétexte.

Un député ne peut pas contrôler tous les dons qu’il reçoit. Et dans le cas du néonazi, ce dernier avait même modifié son prénom.

À la limite, on aurait pu lui donner une chance. Le problème, c’est tout le reste de l’œuvre de M. Sloan.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le député Derek Sloan a été exclu du Parti conservateur par le chef Erin O’Toole.

Dans la dernière année, le député ontarien a parrainé une pétition antivaccin. Il a dit que l’homosexualité était un choix et appuyé les thérapies de conversion. Et il a insinué que la Dre Teresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, serait avant tout loyale à la Chine.

C’était raciste, et aussi imbécile – elle est née à Hong Kong, à l’époque du protectorat britannique, et a grandi au Royaume-Uni…

M. Sloan avait lancé cette attaque vicieuse lors de la course à la direction. Andrew Scheer, alors chef, avait pris une semaine pour réagir, très mollement d’ailleurs. Et M. O’Toole ne l’avait pas dénoncé.

Tout le monde comprenait pourquoi. L’élection du chef se faisait par vote préférentiel. Il ne voulait donc pas froisser les partisans de M. Sloan, afin de récolter leur vote au second tour.

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Depuis la fusion entre le Parti progressiste-conservateur et l’Alliance canadienne en 2003, la stratégie avec la droite religieuse a toujours été la même : ne pas juger, mais ne pas promouvoir.

Les pro-vie ne sont pas si nombreux dans le caucus. Près de 40 députés sur 121, dont 10 ont des croyances très fortes.

On les laisse présenter des projets de loi privés et voter selon leur conscience sur les enjeux moraux. Mais les conservateurs jurent que leur gouvernement ne déposerait pas de tels projets, et n’appuierait pas ceux des députés.

Bref, ils peuvent parler, mais ça n’ira nulle part.

Comme me l’a dit une source : « Ils savent qu’ils ne gagneront pas, ils veulent seulement être respectés dans leurs croyances. »

À l’interne, cela peut se gérer. Mais avec l’électorat, c’est plus compliqué.

Andrew Scheer avait un déficit de crédibilité. C’était connu, il était croyant et pro-vie. En 2019, il a essayé de convaincre les Canadiens qu’il ne rouvrirait pas le débat sur l’avortement. Malgré ses promesses, beaucoup ne l’ont donc pas cru. Particulièrement au Québec.

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Erin O’Toole, chef du Parti conservateur

Erin O’Toole n’aura pas ce handicap. Il l’a répété, il est pro-choix. Les Canadiens peuvent lui faire confiance. Mais pas à M. Sloan.

Sa présence donnait l’impression aux homophobes, aux xénophobes et aux complotistes qu’ils avaient leur place au Parti conservateur. Elle cautionnait leurs idées. Et on a vu aux États-Unis à quel point les extrémistes se font bruyants quand le pouvoir les normalise.

Après avoir fait un clin d’œil à sa droite pour gagner la chefferie, M. O’Toole essaie maintenant de rapprocher le parti du centre.

Les conservateurs attendraient 10 ans avant de retourner à l’équilibre budgétaire. Les libéraux ne peuvent plus mettre en garde contre l’austérité des bleus.

Mais pour les autres enjeux, M. Sloan menaçait ce recentrage.

Ses idées déplaisaient. Sa personnalité aussi.

Il n’y a pas de façon gentille de le dire : c’était un emmerdeur.

Il cherchait l’attention. Il contredisait le chef. Et, goutte qui a fait déborder le vase, il a lancé une campagne d’appels automatisés (robocalls) en Ontario, y compris dans les circonscriptions de ses collègues. Pire, il a refusé de faire part du détail de ces appels au le parti.

Habituellement, un chef hésite à punir un député par crainte de nuire à l’unité des troupes. Philippe Couillard avait semé la grogne à l’interne après avoir rétrogradé Sam Hamad, et la même chose arrive en ce moment à Dominique Anglade avec Pierre Arcand.

Mais le cas de M. Sloan est différent. De nombreux conservateurs se disent aujourd’hui « bon débarras ». Ils n’ont pas aussi bien respiré depuis le départ de Maxime Bernier.

Reste que M. O’Toole ne devrait pas tolérer les autres dérives de ses députés, comme celles de Pierre Poilievre. Ce dernier incarne le conservatisme rageur. À la fin novembre, il a relayé la théorie du complot de la « Grande Réinitialisation », selon laquelle les « élites financières globalistes » utiliseraient la COVID-19 pour voler le pouvoir au peuple.

L’expulsion de Derek Sloan est un cadeau qu’Erin O’Toole et ses collègues s’offrent à la veille de la prochaine campagne électorale. Mais ils devront s’assurer que d’autres ne reprennent pas son triste rôle.