(Ottawa) Les conservateurs étaient déchirés, mardi, sur la décision du chef du parti, Erin O’Toole, de tenter d’expulser de leurs rangs un député qui a reçu un don d’un nationaliste blanc connu.

Les 121 députés du parti devraient participer mercredi matin au scrutin secret sur la question de savoir si Derek Sloan devrait être exclu. Une majorité simple serait requise pour l’évincer.

Bien que M. Sloan ait provoqué plusieurs controverses dans les derniers mois, l’idée de l’exclure du caucus pour un don qu’il disait ignorer avoir reçu ne convenait pas à certains députés et partisans.

Et cette décision a provoqué une réaction immédiate de la part de certains groupes antiavortement, qui s’étaient fermement rangés derrière M. Sloan pendant la course à la direction qu’il a perdue aux mains de M. O’Toole il y a près de six mois.

Le groupe Right Now a exhorté ses sympathisants à contacter les députés pour exprimer leur mécontentement.

« Nous pensons qu’il s’agit d’une tentative de dissuader les pro-vie de s’engager au sein du Parti conservateur du Canada, en particulier lors du prochain congrès politique », indique le courriel de Right Now.

« Si ces responsables du Parti conservateur du Canada qui ne partagent pas nos valeurs n’étaient pas menacés par le fait que nous prenions notre place légitime et démocratique au sein du parti, alors ils ne tenteraient pas une démarche aussi effrontée et manifestement désespérée comme celle-ci. »

Des inquiétudes soulevées

La controverse sur les 131 $ donnés par Paul Fromm, un militant politique de longue date lié à des causes néonazies, a éclaté lundi soir.

M. O’Toole a déclaré que le don — fait sous le nom de « Frederick P. Fromm » — signifiait que Derek Sloan ne pouvait plus être un député conservateur, invoquant une intolérance au racisme au sein du parti. Le chef a rapidement lancé le processus pour le retirer du caucus conservateur.

Certains députés ont publiquement exprimé leur approbation sur les réseaux sociaux, mais des inquiétudes en privé ont été immédiatement soulevées au sujet de la barre que M. O’Toole fixe.

Le parti est fier de collecter des dons auprès de centaines de milliers de partisans. Les examiner tous en vertu d’une norme peu claire serait difficile, voire carrément impossible.

Changement de cap pour O’Toole

Derek Sloan a été élu en 2019 dans la circonscription ontarienne de Hastings–Lennox and Addington, et il a surpris tout le monde en annonçant peu de temps après qu’il se présenterait à la direction du parti.

Il a suscité plusieurs controverses dans sa courte carrière politique. Il s’est fait accuser d’être raciste en mettant en doute la loyauté de l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam, née à Hong Kong. Il a aussi suggéré que le fait d’être LGBTQ n’était pas une question de science et a comparé une interdiction de la thérapie conçue pour forcer une personne à changer de genre ou d’identité sexuelle à la maltraitance d’enfants.

Pendant la course à la direction, Erin O’Toole refusait d’exclure du caucus M. Sloan en raison de ses remarques à propos de Theresa Tam. Il avait même acheté des publicités sur les réseaux sociaux pour vanter cette position.

Le fait qu’un tel don ait fait déborder le vase pour M. O’Toole en a fait sourciller certains.

« Qu’il joue à des jeux de mots stupides sur le fait que l’homosexualité est un choix aurait dû le disqualifier. Mais le renvoyer à cause d’un don d’un raciste qui a déguisé son identité ? Il y a tellement de bonnes raisons de le mettre à la porte. Je ne suis pas sûr que ce soit celle-là », a écrit Chisholm Pothier, employé conservateur de longue date et stratège sur Twitter.

Les libéraux réclamaient depuis des mois que le chef conservateur expulse son député, et le premier ministre Justin Trudeau a déclaré mardi qu’il était heureux qu’Erin O’Toole fasse preuve de leadership.

« Les partis politiques doivent rester vigilants, surtout à la suite de ce que nous avons vu aux États-Unis, face à l’infiltration ou à la présence active d’éléments marginaux, extrémistes, violents, inacceptables ou intolérants », a affirmé M. Trudeau en conférence de presse.

« Quelqu’un veut s’en prendre à Sloan »

Paul Fromm est lié aux négationnistes de l’Holocauste et à d’autres groupes nationalistes blancs depuis des années. Il est aussi membre du Parti conservateur, a voté lors de la dernière course à la direction et s’était inscrit pour participer au congrès virtuel du parti en mars — ce qui n’avait jamais été signalé avant les révélations de lundi.

En entrevue, M. Fromm a dit qu’il n’avait jamais rencontré Derek Sloan. Et même si les politiques de M. Sloan lui plaisent, il estime que son don, son adhésion au parti ou son souhait de participer au congrès n’entachent en rien le député ou le parti.

« Je pense que, fondamentalement, quelqu’un veut s’en prendre à Sloan et est prêt à utiliser n’importe quoi », a-t-il avancé.

Erin O’Toole a remporté la course à la direction l’an dernier grâce en partie aux partisans de Derek Sloan, qu’il avait courtisés.

Depuis ce temps, il s’est souvent fait demander comment il allait élargir son électorat, compte tenu de la force de son aile sociale conservatrice.

Cette faction se préparait déjà à essayer de jouer un rôle démesuré lors du congrès du parti en mars, s’organisant pour faire avancer plusieurs positions socialement conservatrices par le biais de motions politiques, en s’assurant qu’elles auraient suffisamment de délégués pour les faire passer.

Ces efforts ont été attisés par M. Sloan, qui avait poussé les gens à s’inscrire en tant que délégués — ce qui, selon des membres du caucus, équivalait à défier M. O’Toole.

Sloan veut se battre

M. Sloan a promis de se battre contre les efforts du chef conservateur pour l’expulser du caucus. Il a rappelé qu’il avait dit au parti de retourner le don de M. Fromm dès qu’il avait été informé de la situation. Il ne comprend pas ce qu’il aurait pu faire de plus.

Il n’a toutefois pas répondu lorsqu’il s’est fait demander ce qu’il espérait accomplir au congrès.

En entrevue à La Presse Canadienne, M. Sloan a plaidé que le candidat à la direction O’Toole avait notamment fait campagne contre la « culture de l’annulation » et pour l’idée d’une vaste coalition conservatrice.

« J’espère qu’il n’a pas abandonné cela en faveur d’un gain politique qui semble à très court terme », a déclaré M. Sloan.