(Québec) Le gouvernement Legault « prend les gens pour des cons » en soutenant qu’investir dans le projet de stade de baseball du groupe de Stephen Bronfman pourrait se faire à coût nul pour les contribuables, accuse la cheffe libérale Dominique Anglade. Les partis de l’opposition considèrent que Québec frappe une fausse balle avec ce projet.

De son côté, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, confirme les discussions en cours avec le groupe, « sauf qu’à ce moment-ci, il n’y a rien à annoncer ». « Il est prématuré pour nous de dire quoi que ce soit. Et d’autre part, les promoteurs doivent présenter le projet à la population et que [celle-ci] le regarde et commente », a-t-il ajouté lors d’une brève mêlée de presse.

La Presse a révélé mardi les dessous des discussions entre le gouvernement et le groupe de M. Bronfman, qui demande à Québec une contribution financière pouvant aller jusqu’à quelques centaines de millions de dollars pour son projet de 1 milliard comprenant notamment un stade. L’objectif du groupe est de ramener une équipe du baseball majeur dans la métropole, en obtenant la garde partagée des Rays de Tampa Bay.

Si Québec va de l’avant avec une contribution financière, il envisage une partie en subventions et une autre partie sous forme de prêts à remboursement conditionnel (communément appelés « prêts pardonnables »). Ce serait selon lui à coût nul pour les contribuables : il accorderait une aide financière équivalente aux recettes fiscales additionnelles générées par de l’argent provenant de l’extérieur du Québec (par exemple, les impôts des joueurs ou la TVQ des touristes américains qui viendraient assister à un match) et une partie des retombées économiques provenant notamment de l’étranger.

« Pas de troisième stade dans le bilan de la province »

Pour Pierre Fitzgibbon, il n’est pas question qu’un nouveau stade soit inclus dans les infrastructures du gouvernement – alors que le Stade olympique et le Centre Vidéotron ont été payés avec des fonds publics à 100 %. Le ministre a affirmé ainsi qu’« il n’y aura pas de troisième stade dans le bilan de la province de Québec. Les gens ont vu le film et n’ont pas aimé ce film-là ». Selon ses explications, le gouvernement, s’il devait aller de l’avant, accorderait un financement au projet dans son ensemble, en fonction de ses retombées potentielles qui restent encore à voir.

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Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

« Je suis en discussion avec les promoteurs depuis quelques mois, mais les étapes importantes, c’est qu’il faut qu’ils parlent à la population et présentent leur projet. Il faut qu’il soit socialement acceptable. Et après ça, il y aura d’autres discussions. C’est très prématuré de conclure sur ça », a expliqué le ministre.

L’opposition en furie

« Quand je lis qu’on nous dit que ça va être à coût nul pour les Québécois, on prend les gens pour des cons quand on dit ça ! », a lancé Dominique Anglade lors d’un point de presse à l’Assemblée nationale. « La réalité, c’est que ces investissements-là coûtent de l’argent aux contribuables » et penser qu’au net ce serait à coût nul, « c’est vraiment supposer beaucoup, beaucoup de choses ».

Certes, « on serait tous contents d’avoir du baseball pour Montréal », a-t-elle ajouté, « mais la réalité, c’est que le gouvernement devrait avoir d’autres priorités ».

Investir des fonds publics « dans une demi-équipe de baseball qui appartient à des millionnaires et des milliardaires, c’est une absurdité », a accusé de son côté le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois. « Ça démontre que François Legault a complètement perdu le sens des priorités. »

Pour lui, parler d’« un stade de baseball à coût nul, c’est comme un troisième lien carboneutre, c’est prendre les Québécois pour des valises ». Les promoteurs d’équipes sportives professionnelles ont « la tendance fâcheuse de gonfler les retombées potentielles », et le gouvernement est en train de tomber dans le panneau, a-t-il ajouté.

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Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Des promesses d’investissements à coût nul, c’est exactement ce que ces gouvernements ont fait dans le cas de Bombardier, et regardez où ça nous a amenés. C’est de la poudre aux yeux, de la bouillie pour les chats, ça ne vaut rien.

Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Le Parti québécois s’oppose également à l’idée d’« investir des fonds publics dans le retour possible d’une équipe de baseball ou, encore pire, dans la construction d’un stade sans savoir qu’une équipe viendrait y jouer », a soutenu son chef parlementaire Joël Arseneau.

Quand on lui a rappelé l’appui du Parti québécois à la construction du Centre Vidéotron avec des fonds publics, projet qui devait favoriser le retour d’une équipe professionnelle de hockey à Québec, il a répondu tout de go : « Comme quoi on peut tirer des leçons de notre expérience. »

« Le discours du gouvernement à l’effet que cet investissement-là pourrait lui rapporter en taxes et impôts – sur les salaires, par exemple, des joueurs professionnels –, ça ne nous convainc pas. Ce serait assez hasardeux et aléatoire d’aller dans ce sens-là, et nous, nous ne privilégions pas cette approche », a-t-il ajouté. « On a déjà joué dans ce film-là et c’est difficile, à l’heure actuelle, de croire que ça va se produire davantage que dans le passé. »

La Fédération canadienne des contribuables demande au gouvernement de rejeter la demande du groupe de Stephen Bronfman. C’est un projet qui « ne tient pas la route », souligne son directeur au Québec, Renaud Brossard, plaidant qu’il n’existe aucune preuve substantielle que des subventions dans ce genre d’aventure mènent à des gains économiques. « Legault espère-t-il réellement trouver des retombées économiques là où des Prix Nobel d’économie ne voient que des pertes ? », se demande-t-il. « Le gouvernement doit donner un non clair et épargner des millions de dollars aux contribuables en refusant de subventionner un nouveau stade de baseball. »