(Québec) Cinq policiers d’une même escouade du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) ont été suspendus avec salaire dans la foulée de l’arrestation musclée de deux jeunes Noirs la fin de semaine dernière à Québec.

L’annonce est survenue alors que la pression monte sur le SPVQ, avec l’indignation de nombreux élus et la médiatisation d’une nouvelle vidéo qui montre une autre arrestation survenue le même soir dans un restaurant de Sainte-Foy.

Parmi les cinq policiers suspendus, trois avaient participé aux deux interventions, soit au Dagobert et au Portofino. Ils font partie de l’escouade GRIPP, affectée à la surveillance des bars.

Les suspensions arrivent « à la suite des évènements survenus dans la nuit du 26 au 27 novembre et dans le cadre de notre enquête évolutive », précise le SPVQ dans un communiqué. Ils sont suspendus avec salaire, comme le prévoit leur convention collective.

Du profilage racial, soutient son avocat

La force employée par les policiers pour maîtriser Pacifique Niyokwizera, 18 ans, est du profilage racial, selon son avocat, MFernando Belton. « Comparer l’arrestation de M. Niyokwizera à n’importe quelle arrestation d’une personne blanche qui a été condamnée pour des choses très graves au Québec. Elle n’est pas arrêtée de cette façon-là », a-t-il affirmé.

Des images captées ce soir-là montrent l’arrestation musclée de deux jeunes Noirs. Pacifique Niyokwizera est frappé par un agent. Un policier lui envoie de la neige dans la figure.

MBelton indique que son client a ensuite été reconduit dans une voiture de patrouille loin du bar et abandonné à 3 h du matin dans la rue, sans son téléphone ni ses cartes d’identité.

Pour MFernando Belton, il s’agit d’une arrestation illégale.

Il n’a reçu aucune contravention. Il n’a aucune date à la cour. On ne lui reproche aucun geste. La police de Québec est muette sur les raisons pour lesquelles il a été arrêté.

MFernando Belton, avocat de Pacifique Niyokwizera

La Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec (FPPVQ) s’est dite « pour le moins surprise » de la suspension de cinq de ses membres.

« Nous espérons que cette décision ne découle pas de pressions politiques », a écrit sa présidente, Martine Fortier, dans une déclaration écrite.

« Nos policiers ont droit à un traitement juste et équitable, et pour ce faire, ce traitement ne doit en aucun temps avoir été influencé par une personne intéressée. »

Autre intervention sous la loupe

Le SPVQ annonce aussi qu’une enquête interne a été déclenchée pour faire la lumière sur une autre arrestation survenue le même soir, quelques heures avant celle du jeune Niyokwizera et quelques kilomètres plus loin. Il s’agissait d’une intervention de la même escouade.

Une vidéo mise en ligne montre plusieurs policiers du SPVQ tentant de maîtriser Jean-Philippe St-Laurent dans le restaurant Portofino. L’homme a la tête recouverte par son chandail et résiste. Les agents lui donnent quelques coups.

M. St-Laurent ne nous avait pas parlé mardi, mais un ami assure qu’il n’y avait eu avant la vidéo « aucun coup, aucune bousculade ».

« Il est couché par terre et maîtrisé par trois policiers à grands coups de poing et coups de genou », indique Sébastien Gauthier.

Là vous allez dire “il avait juste à mettre ses mains dans le dos”. Avez-vous déjà mangé des coups de poing dans les côtes et dans la face sans essayer de vous protéger ?

Sébastien Gauthier, ami de Jean-Philippe St-Laurent

M. St-Laurent aurait eu le visage coupé par des éclats de verre par terre, au moment où les policiers l’ont plaqué au sol.

Dagobert : une enquête du BEI demandée

Les partis de l’opposition à Québec ont par ailleurs demandé mardi une enquête indépendante sur l’arrestation de Pacifique Niyokwizera.

L’intervention musclée est déjà le sujet d’une enquête interne du SPVQ. Québec a aussi demandé au Commissaire à la déontologie policière de lancer une enquête.

Mais ce n’est pas suffisant pour l’opposition, qui réclame unanimement que le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) intervienne.

« On préférerait nettement une enquête indépendante, ce qui veut dire une enquête menée par le BEI. Ce serait nettement plus transparent, indépendant », croit le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon.

« Cette enquête-là, elle doit être faite par le Bureau des enquêtes indépendantes. C’est la moindre des choses dans un dossier comme celui-là où le public doit avoir confiance en son service de police », a renchéri le député libéral André Fortin.

Le premier ministre du Québec n’a pas voulu s’engager à recourir au BEI. François Legault a réitéré mardi sa confiance envers le SPVQ. Il estime que le corps de police « comprend très bien que le lien de confiance entre les citoyens et les policiers est fragile ».

Il n’est toutefois pas encore prêt à demander une enquête du BEI. « Si c’est nécessaire, je suis prêt à aller plus loin, dit-il. Ce que je veux dire aux gens de Québec, c’est qu’on va aller au fond des choses. »

Pour Québec solidaire, il faut aller nettement plus loin. Le parti demande une étude indépendante sur les relations entre le SPVQ et les personnes issues des minorités racisées.

« Nous avons pris acte de nombreux témoignages de personnes racisées résidant à Québec qui dénoncent le profilage racial dont elles sont victimes. C’est extrêmement préoccupant, surtout quand on sait qu’il n’y a aucun policier noir sur plus de 800 agents au SPVQ », remarque le député solidaire Sol Zanetti.

Avec Alice Girard-Bossé, La Presse