(Québec) La pression sera forte, très forte, sur les épaules de Dominique Anglade quand elle montera sur l’estrade du Centre des congrès de Québec, le soir du vendredi 26 novembre, puis une seconde fois le matin du dimanche 28, afin de prendre la parole devant quelques centaines de militants libéraux réunis en congrès pour l’entendre dire que tout est encore possible pour le Parti libéral du Québec (PLQ).

Elle n’aura pas droit à l’erreur, confrontée à un grand moment de vérité, au moment où son parti, au plus bas dans les sondages, traverse une crise à l’issue incertaine, à quelques mois de l’échéance électorale. Dans la salle, les attentes seront immenses, voire démesurées, tandis qu’en coulisses les critiques des députés envers leur cheffe se font de plus en plus acerbes.

Nombreux seront les libéraux qui vont espérer reprendre la route le dimanche 28 novembre gonflés à bloc, galvanisés, mobilisés comme jamais, les plus optimistes d’entre eux confiants d’avoir encore une chance, peut-être, de reprendre le pouvoir en octobre 2022, malgré les sondages dévastateurs qui minent le moral des troupes. Les moins optimistes, dont des membres du caucus, vont croiser les doigts, en espérant que Mme Anglade corrige le tir avant qu’il soit trop tard.

C’est ce qui ressort d’une série d’entrevues menées au cours des dernières semaines par La Presse Canadienne auprès de plusieurs députés libéraux, ex-députés et ex-ministres, militants et conseillers, dans une démarche visant à prendre le pouls des libéraux à l’approche de cet évènement, qui risque d’être déterminant pour la suite des choses. L’anonymat a été respecté pour leur permettre de parler sans filtre.

Ce sera le 34e congrès du parti et le premier dans les chaussures du chef pour Mme Anglade, pour qui ce sera une première occasion d’échanger en personne avec sa base militante.

Tous s’entendent pour dire que, dans le contexte politique actuel, ce rassemblement militant, le premier depuis longtemps, n’en sera pas un comme les autres, étant susceptible d’avoir un impact décisif, tant pour le parti que pour sa cheffe.

Ce congrès revêt une importance « cruciale », est persuadé un député. Il s’agit pour le parti d’un évènement « hyper important », renchérira une autre. La tâche paraît « herculéenne », reconnaît une autre élue, alors que les électeurs ont déserté le parti à peu près partout au Québec, en dehors de la grande région de Montréal et de l’Outaouais, et que le PLQ n’attire plus que 9 % des francophones.

Dans les rangs libéraux, on dit que la cheffe devra absolument à cette occasion se faire rassembleuse et charismatique, afficher des qualités d’oratrice hors du commun, pour rallier ses troupes, et ainsi tuer dans l’œuf toute contestation. Ce congrès sera l’occasion de voir « si les militants ont faim ou pas », dit une parlementaire. Faim de pouvoir, faim de livrer bataille aux troupes de François Legault.

Sur le plan du contenu, « elle doit frapper un grand coup », selon une source, éviter à tout prix les lieux communs et les vagues promesses pour annoncer au moins une idée forte, concrète, à inscrire dans la future plateforme du parti. Elle doit se présenter comme une cheffe prête à « défendre une cause », dira une autre.

« Où est-ce qu’on s’en va ? »

Après un an et demi de gouverne Anglade, militants et députés commencent d’ailleurs à s’impatienter sérieusement de connaître le visage qu’elle veut donner à la formation. Les uns jugent l’identité actuelle du PLQ « trop floue », déçus de ne pas retrouver « l’ADN libéral » dans le discours de la cheffe, et les valeurs qu’elle défend. Les libéraux veulent savoir « où est-ce qu’on s’en va ? », résume une députée, qui avoue ne plus reconnaître son parti.

Agacées par son silence sur le sujet, plusieurs personnes interviewées ont insisté pour réclamer que la cheffe prenne enfin position clairement et sans réserve en faveur de l’appartenance du Québec au grand tout canadien. On lui reproche d’avoir pris un virage trop nationaliste, et on veut l’entendre dire que le PLQ est le seul parti représenté à l’Assemblée nationale vraiment fédéraliste. Car jusqu’à maintenant, son adhésion au fédéralisme canadien n’a « pas été très vocale », déplore un ancien ministre toujours actif au sein du parti. 

Quand sera-t-elle capable d’affirmer que nous sommes fédéralistes ?

Une députée

Certains ont sourcillé en entendant les positions de la cheffe sur la question linguistique, estimant qu’elle s’était montrée trop proche du gouvernement caquiste sur le projet de loi 96, qui annonce une réforme de la loi 101 et inclut le recours à la clause dérogatoire. « Chez les militants anglophones, ça ne passe pas », assure une élue, convaincue qu’à trop vouloir séduire les francophones, les anglophones risquent de quitter le navire.

Une élue se plaît à rappeler que Dominique Anglade a déjà dirigé le parti de François Legault, la Coalition avenir Québec (CAQ), de 2012 à 2013, en concluant que « ce n’est pas une vraie libérale ».

PHOTO ANDRE PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Anglade et François Legault alors qu’elle était la présidente de la CAQ, en 2012

Un membre de l’équipe parlementaire est d’avis que le congrès ne sera pas le seul test que devra passer Dominique Anglade, et peut-être pas le principal. C’est bien plus sa capacité, dans les prochains mois, à attirer des candidats de valeur qui permettra de voir « si ça passe ou ça casse ».

Pas de putsch en vue

Même si l’accession de Mme Anglade à la tête du parti n’a pas fait bouger l’aiguille des sondages, personne, au sein ou à l’extérieur du caucus, ne remet en question son leadership. Les rumeurs de possible putsch avant le prochain scrutin paraissent donc farfelues.

Le parti traverse une crise depuis que la cheffe a exclu du caucus début novembre la députée Marie Montpetit, et retiré au député Gaétan Barrette toutes ses fonctions parlementaires. Déstabilisé, le caucus devra tout de même afficher une solidarité sans failles envers sa cheffe lors du congrès, est d’avis un ancien proche conseiller de chefs libéraux. « Pas le temps de tirer dans la chaloupe », dit-il.

Sauf que cette crise laisse le caucus divisé. Si certains députés se rangent derrière la cheffe, d’autres estiment qu’elle a vraiment mal géré la situation, indiquent des sources à l’interne.