(Shawinigan) Le premier ministre François Legault étudie « différents scénarios » pour convaincre les chefs d’entreprise anglophones d’apprendre le français.

Il a révélé ses intentions vendredi, au lendemain de la décision du grand patron de SNC-Lavalin de reporter le discours qu’il devait prononcer lundi prochain devant le milieu des affaires de Montréal, évoquant sa maîtrise inadéquate de la langue française. Ian Edwards, qui s’est remis à l’apprentissage de la langue de Molière, promet de revenir dans la « prochaine année » avec une allocution plus équilibrée.

La semaine dernière, le grand patron d’Air Canada, Michael Rousseau, a soulevé une tempête à la suite d’un discours prononcé exclusivement en anglais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. En mêlée de presse, il avait par la suite affirmé aux journalistes qu’il vivait dans la métropole depuis 14 ans sans avoir eu à apprendre le français, ce qui était « tout à l’honneur » de la ville.

« C’est important que les présidents d’entreprise au Québec soient capables de parler français. On est en train de regarder différentes approches pour s’[en] assurer », a déclaré François Legault en conférence de presse vendredi à Shawinigan pour présenter la vision économique de son gouvernement.

Je pense que la grande majorité des présidents de compagnie qui sont au Québec sont capables de parler français. Il y a une petite minorité, puis il faut agir sur cette petite minorité pour les aider, les accompagner, les convaincre. Et on est en train de regarder différents scénarios.

François Legault, premier ministre du Québec

Il compte « identifier quels présidents ne parlent pas français » et voir « comment on peut les convaincre d’apprendre le français ».

Lorsqu’il s’est fait demander si un représentant du gouvernement avait fait des démarches auprès de SNC-Lavalin pour en arriver au report du discours du grand patron, il a répondu qu’il n’en avait pas fait lui-même, tout en évoquant la possibilité que la Chambre de commerce du Montréal métropolitain soit intervenue. « Je ne veux pas commencer à parler en particulier de SNC-Lavalin », a-t-il dit, cherchant à esquiver la question.

La Caisse de dépôt et placement du Québec est le plus important actionnaire de SNC-Lavalin. Quand on lui a demandé si la Caisse devait s’assurer de la maîtrise du français chez les dirigeants des sociétés présentes au Québec dans lesquelles elle a une forte participation, il a répondu qu’il aurait des discussions à ce sujet avec son PDG. « La Caisse de dépôt a une responsabilité sociale, une responsabilité de développer l’économie québécoise comme il faut. Ça va faire partie des discussions qu’on va avoir avec Charles Émond. »

« Il faut relativiser »

Du côté de Manufacturiers et exportateurs du Québec, qui représente 1100 entreprises, la PDG, Véronique Proulx, se réjouit d’entrée de jeu que le premier ministre ait précisé que seule « une petite minorité » de présidents d’entreprise sont incapables de parler français. « Il faut relativiser. La très grande majorité des chefs d’entreprise le font, peu importe leur langue d’origine […] C’est important d’avoir un discours équilibré. »

Elle considère comme une « évidence » qu’un chef d’entreprise doive être capable de communiquer avec ses employés en français. Elle se montre toutefois perplexe quant aux outils dont disposerait le gouvernement Legault pour intervenir.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec

Dans le cas d’Air Canada, on a fait référence au conseil d’administration, qui n’avait peut-être pas bien fait son travail. Dans le cas d’entreprises privées, j’ai de la difficulté à voir ce que le gouvernement peut faire.

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec

François Legault s’était déplacé dans les locaux d’AddÉnergie, un fabricant de bornes de recharge pour véhicules électriques, afin de présenter la « nouvelle vision économique post-pandémie » de son gouvernement. Dans les faits, cette vision regroupe des thèmes exploités largement par les caquistes depuis des mois. Elle s’articule autour de cinq chantiers : l’achat québécois et la production ici, les exportations, l’innovation, la main-d’œuvre et l’économie verte. Son objectif ultime est d’augmenter le PIB par habitant et de réduire l’écart de richesse avec l’Ontario.

« Des annonces vont débouler » dans les prochaines semaines en lien avec cette vision, a signalé le premier ministre. Il y en aura dans le minibudget du ministre des Finances, Eric Girard, le 25 novembre.

Les Québécois d’abord

François Legault a indiqué que les projets d’entreprises offrant des emplois payants l’intéressaient et que ceux misant sur une main-d’œuvre bon marché n’étaient pas les bienvenus. « Des entreprises qui voudraient venir s’installer au Québec pour offrir des salaires à 15 $ l’heure, comme dans tous les autres endroits industrialisés qui vont bien, il n’y aura plus d’offre de disponible pour ça », a-t-il lancé.

Dans le cas des entreprises québécoises qui peinent à trouver de la main-d’œuvre à de tels salaires, « l’immigration, ça peut être une partie de la solution », selon lui. « Mais il faut réaliser que nous, au Québec, à 50 000 [nouveaux arrivants] par année, on a atteint notre capacité d’intégration », a-t-il ajouté, soulignant que la moitié des immigrants ne connaissaient pas le français sous les précédents gouvernements.

Si on veut continuer de parler français dans les prochaines générations, il y a une limite au nombre d’immigrants qu’on peut [accueillir]. Disons-nous les choses comme elles sont : il faut d’abord s’occuper des Québécois. Et l’offre et la demande [vont] faire que les salaires vont augmenter.

François Legault, premier ministre du Québec

Selon le premier ministre, il faut pourvoir « tous les postes essentiels », en santé et en éducation, et il faut pourvoir « les postes où il y a des salaires avec de la valeur ajoutée dans des domaines d’avenir comme l’économie verte ».

François Legault a confirmé que son gouvernement déposerait un projet de loi visant à ce que « les ministères et les sociétés d’État achètent beaucoup plus au Québec ». À la suite de la commission Charbonneau, « il y a eu comme une inquiétude qu’il y ait du favoritisme qui soit fait, et là, je trouve qu’on est passé d’un extrême à l’autre », a-t-il lancé. Il est possible, selon lui, de « favoriser l’achat québécois » tout en respectant les « règles de l’art ». « Arrêtons d’être naïfs, je pense qu’on peut le faire, surtout avec Sonia LeBel [présidente du Conseil du trésor et ancienne procureure de la Commission], sans qu’il y ait d’affaires croches et […] en encourageant les compagnies québécoises. »

À l’heure actuelle, un fournisseur étranger et un fournisseur québécois sont « traités de la même façon » par « certains ministères ou certaines sociétés d’État » dans leurs appels d’offres. « Tout en respectant les règles internationales […], il ne faudrait peut-être pas juste regarder le plus bas soumissionnaire et plutôt mettre d’autres critères incluant : est-ce que c’est un fournisseur québécois ? Il faudrait qu’il y ait des points ajoutés là-dessus », a-t-il soutenu.

La CAQ soufflera ses 10 bougies

François Legault a passé la journée de vendredi en Mauricie, alors que son parti tiendra un conseil général cette fin de semaine à Trois-Rivières. C’est le premier congrès où les militants caquistes seront réunis en personne depuis le début de la pandémie de COVID-19. Quelque 850 membres de la CAQ et du personnel politique du gouvernement sont attendus. On y soulignera les 10 ans du parti.

Les militants débattront d’une cinquantaine de propositions qui portent sur le développement des régions – et ne prêtent pas à controverse. Dans le préambule du cahier de consultation, notons que la CAQ, au pouvoir depuis 2018, reconnaît l’existence d’une « crise de dévitalisation » dans « plusieurs régions et municipalités » et soutient qu’il est « urgent d’agir ».

Parmi les propositions, le parti réitère sa volonté de transférer des postes de fonctionnaire en région, de bonifier le soutien aux municipalités pour la réfection des routes sous leur responsabilité, de soutenir les villages qui veulent mettre en commun des services, d’augmenter la transformation des ressources naturelles en région et d’accroître l’autonomie alimentaire du Québec.

Avec la collaboration de Karim Benessaieh, La Presse