(Ottawa) Les plaintes sur le discours en anglais du patron d’Air Canada continuent de se multiplier, alors que la vice-première ministre Chrystia Freeland lui demande d’apprendre le français.

Dans une lettre envoyée au président du conseil d’administration du transporteur aérien lundi, elle exprime « la déception » du gouvernement fédéral à l’égard d’Air Canada et remet en question « la qualité de la gouvernance » qu’il exerce.

Le discours presque exclusivement en anglais prononcé par son président-directeur général, Michael Rousseau, mercredi dernier devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et ses propos sur le français « sont tout à fait incompatibles avec l’engagement qu’a pris la Société à l’égard des deux langues officielles depuis les tout premiers jours de la privatisation d’Air Canada », écrit-elle au président du conseil d’administration du transporteur, Vagn Sørensen.

« Comme l’a dit le premier ministre : « c’est une situation inacceptable » », poursuit celle qui cumule également la fonction de ministre des Finances. Elle rappelle d’entrée de jeu que le gouvernement canadien détient 6 % des actions en circulation du transporteur aérien.

PHOTO LARS HAGBERG, AGENCE FRANCE-PRESSE

La vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland

Le patron d’Air Canada a déclenché une tempête linguistique la semaine dernière en livrant une allocution en anglais à Montréal, et ce, malgré les avertissements d’un membre du cabinet de François Legault à Québec et du Commissariat aux langues officielles à Ottawa. Seules quelques phrases en français avaient été ajoutées. M. Rousseau avait par la suite affirmé aux journalistes qu’il vivait dans la métropole depuis 14 ans sans avoir eu à apprendre le français, ce qui était « tout à l’honneur » de la ville.

2000 plaintes

Son discours et ses propos ont choqué au point où le Commissariat aux langues officielles à Ottawa a reçu plus de 2000 plaintes depuis mercredi dernier, un record. Il appartenait auparavant au Service canadien du renseignement de sécurité, qui avait fait l’objet de 1784 plaintes en 1986 pour avoir envoyé un document en anglais seulement à ses bureaux du Québec, selon les archives du Commissariat.

Ses employés devront maintenant s’affairer à déterminer si elles sont recevables en vertu de la Loi sur les langues officielles. « Il est donc possible que le nombre de plaintes recevables soit inférieur à ce nombre », a fait savoir la porte-parole du Commissariat, Sonia Lamontagne. « Comme elles continuent d’entrer, il est difficile pour nous, pour le moment, de vous donner un nombre final de plaintes recevables », a-t-elle ajouté.

Air Canada a mauvaise réputation pour la prestation de services en français. De 2016 à aujourd’hui, le Commissariat aux langues officielles a reçu 431 récriminations sur leur qualité, dont 160 seulement en 2019. Ce nombre élevé est signe « d’un problème systémique » au sein du transporteur aérien, avait souligné le commissaire Raymond Théberge en entrevue à La Presse jeudi dernier.

« Ce problème soulève des questions sur la qualité de la gouvernance exercée par le conseil d’administration d’Air Canada en ce qui concerne la place accordée à la langue française au sein de la direction de la Société », écrit Mme Freeland dans sa lettre.

La vice-première ministre suggère donc au conseil d’administration d’Air Canada d’effectuer des changements en haut de la pyramide en ajoutant « l’amélioration notable » de la capacité de M. Rousseau de communiquer en français comme critère d’évaluation de son rendement annuel.

Le transporteur aérien devrait également faire de la communication en français « un critère important » pour pourvoir les postes de la haute direction. Mme Freeland l’appelle également à revoir ses politiques et ses pratiques quant à l’usage de cette langue.

Sa collègue Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles, s’est toutefois gardée lundi d’exiger la démission du PDG, à l’instar du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique. « Je pense que c’est une question que vous devez poser au conseil d’administration », s’est-elle contentée de répondre.

Le chef conservateur Erin O’Toole a également évité de dire si Michael Rousseau devait démissionner. « J’espère qu’il va avoir un engagement fort sur le français », a-t-il répondu à la question d’une journaliste.

À l’Assemblée nationale, Québec solidaire et le Parti libéral du Québec avaient également exigé la démission du patron d’Air Canada.

Malgré cette tempête linguistique, l’action d’Air Canada n’a pas de plomb dans l’aile, bien au contraire. Vendredi, elle avait terminé la semaine en s’envolant de 6,2 %, tandis qu’aujourd’hui, elle est demeurée stable en dépit de l’intervention de la ministre Freeland. L’entreprise n’a pas répondu aux appels de La Presse lundi.

Cette controverse survient alors que le gouvernement de Justin Trudeau doit déposer à nouveau sa réforme de la Loi sur les langues officielles qui donnerait plus de mordant au Commissaire chargé de la faire appliquer. Le projet de loi initial déposé, en juin, est mort au feuilleton lors du déclenchement de la campagne électorale deux mois plus tard.