Consciente de la montée du protectionnisme dans bon nombre de pays, la nouvelle ministre des Affaires étrangères du Canada entend défendre les valeurs du pays

(Ottawa ) Signe de l’importance des relations entre le Canada et les États-Unis, la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, prévoit que l’un des premiers entretiens qu’elle aura avec un homologue étranger sera avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken.

Cet entretien, qui devrait avoir lieu sous peu, permettra de rappeler au chef de la diplomatie américaine que le Canada demeure l’allié et le partenaire le plus fiable des États-Unis au moment où les tensions géopolitiques régionales préoccupent Washington et que la montée du nationalisme dans certains régimes autoritaires met à mal les idéaux démocratiques chers aux deux pays.

L’entretien permettra aussi de rappeler l’importance des relations commerciales entre les deux pays et d’inviter l’administration Biden à ne pas recourir à des politiques protectionnistes sans égard à la chaîne d’approvisionnement nord-américaine.

Dans une entrevue accordée à La Presse, la ministre Joly a affirmé que la politique étrangère qu’elle mènera s’articulera autour de trois axes importants : la lutte contre les changements climatiques, la défense des valeurs démocratiques et l’opposition au protectionnisme.

« Les États-Unis sont nos plus grands alliés. Et nous partageons beaucoup des priorités des États-Unis, notamment au chapitre des changements climatiques et de la promotion de la démocratie. Mais en même temps, nous avons des préoccupations au niveau du commerce international », a affirmé Mme Joly.

Je vais certainement défendre les intérêts canadiens et soulever cet enjeu avec M. Blinken.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Entre autres choses, la ministre a en tête la clause Buy American qui doit être incluse dans le plan de relance de l’administration Biden, l’avenir de la ligne 5, ce pipeline transfrontalier d’Enbridge que tente de fermer l’État du Michigan, ainsi que le différend sur le bois d’œuvre et les incitatifs financiers offerts pour l’achat d’un véhicule électrique préconisés par Washington qui ne s’appliqueraient que si le véhicule est entièrement construit aux États-Unis.

« Il y a un retour peu à peu à la diplomatie en présentiel, donc en personne. Cela va m’aider à développer des liens. Et ça va aussi me faire plaisir de parler en français avec M. Blinken », a avancé la ministre, faisant allusion au fait que le secrétaire d’État américain s’exprime fort bien dans la langue de Gilles Vigneault.

De l’expérience

La montée du protectionnisme aux États-Unis et ailleurs dans le monde l’inquiète. D’autant que le Canada demeure un pays dont l’économie est largement tributaire de ses exportations. L’accès à des marchés pour les produits canadiens est donc primordial.

« Les plaques tectoniques bougent présentement dans le monde. Il faut en tenir compte pour nos intérêts économiques. Mais il faut aussi s’assurer de défendre nos valeurs. »

La diplomatie du XXIe siècle doit aussi tenir compte du numérique. Les gens sont en ligne. Il faut penser à cela au moment où l’on pense à la stabilité de nos démocraties.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Aux sceptiques qui s’expliquent mal la décision du premier ministre Justin Trudeau de lui confier le poste de ministre des Affaires étrangères, Mme Joly répond qu’elle a siégé pendant deux ans au puissant comité du cabinet sur les affaires étrangères et la sécurité nationale. Tous les dossiers touchant les relations qu’entretient le Canada avec le reste de la planète transitaient par ce comité, dont elle assurait la vice-présidence.

Elle siégeait à un autre comité du cabinet, celui des priorités et de la planification, présidé par le premier ministre lui-même. Et elle siégeait au comité du cabinet sur la COVID-19, l’un des comités les plus importants pendant la pandémie.

Leadership francophone

Durant le premier mandat du gouvernement Trudeau, Mme Joly a été ministre responsable de la Francophonie. À ce titre, elle a dû négocier en coulisses le départ de l’ancienne secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie Michaëlle Jean, dont le leadership était contesté par certains pays membres de l’organisation. Soutenue par la France, la candidate rwandaise Louise Mushikiwabo a été choisie pour succéder à Mme Jean au Sommet de la francophonie d’Erevan, en Arménie, en 2018.

« J’ai beaucoup travaillé avec les Français, avec les Arméniens aussi qui accueillaient le sommet, et avec plusieurs de mes homologues en Afrique. Nous avons réussi à avoir un consensus sur la suite des choses où le Canada a pu conserver son influence et a obtenu le deuxième poste en importance au sein de l’OIF. »

Des négociations menées par Mme Joly avec l’appui de la France ont aussi permis de créer la plateforme numérique de TV5 Monde, « qui était vraiment [son] grand projet » lorsqu’elle était ministre de la Francophonie.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mélanie Joly et Justin Trudeau, lors de la prestation de serment du nouveau Conseil des ministres le 26 octobre

Ce travail diplomatique de coulisses effectué par Mme Joly n’est pas passé inaperçu auprès du premier ministre et de ses proches collaborateurs. M. Trudeau avait d’ailleurs en tête les résultats que le Canada a obtenus lors de ce sommet quand il a réfléchi à la formation de son cabinet. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a arrêté son choix sur Mme Joly.

Même si elle entrevoit une diplomatie en présentiel et que le Canada voit la lumière au bout du tunnel concernant la pandémie, il reste qu’à peine 25 % de la population de la planète a été vaccinée contre la COVID-19. Résultat : la crise sanitaire continuera d’être un enjeu mondial.

Des appels et des rencontres

Depuis sa nomination, il y a une semaine, la ministre Mélanie Joly a multiplié les appels et les rencontres. Elle s’est entretenue avec un bon nombre d’ambassadeurs du Canada à l’étranger. Elle a aussi obtenu le son de cloche de ses deux prédécesseurs, Marc Garneau et François-Philippe Champagne. En entrevue, Mme Joly a indiqué qu’elle n’hésitera pas à faire appel aux conseils des anciens ministres des Affaires étrangères Joe Clark, Perrin Beatty et Lloyd Axworthy. « Mon plan de match, c’est de parler à beaucoup de personnes. Je me nourris beaucoup des expériences des gens. Au-delà des lignes partisanes, quand on quitte le pays, nous sommes tous unis en tant que Canadiens. C’est aussi la logique que j’ai suivie quand j’ai travaillé sur le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles », a-t-elle avancé. Avant de proposer une réforme de cette loi, Mme Joly a consulté d’anciens premiers ministres du Québec (Daniel Johnson, Pierre Marc Johnson, Lucien Bouchard, Pauline Marois, Jean Charest et Philippe Couillard) et du Canada (Brian Mulroney, Jean Chrétien et Paul Martin).