« Sauvez notre boisé ! Sauvez nos sentiers ! », implore la petite affiche, confectionnée par des mains enfantines et posée sur un énorme pin qui se dresse au milieu d’un bois du secteur Saint-Augustin, à Mirabel. Ici comme un peu partout dans le Grand Montréal, des citoyens profitent de la campagne électorale pour se porter au secours d’espaces verts menacés. Le sort de multiples terrains de golf, à transformer en parcs ou en nouveaux quartiers, suscite aussi de vifs débats en vue du scrutin de ce week-end.

Des citoyens défendent leurs espaces verts

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Manifestation pour préserver un espace vert à Mirabel, le 24 octobre dernier

Par un dimanche d’octobre, une soixantaine de personnes, dont quelques cavaliers, ont répondu à l’appel du candidat à la mairie de Mirabel, David Marra-Hurtubise, qui a invité les citoyens à venir manifester leur attachement à une petite forêt de 400 000 pi2 sillonnés de sentiers du secteur Saint-Augustin.

S’il est élu maire, M. Marra-Hurtubise, chef de Mouvement citoyen Mirabel, promet que la municipalité achètera le terrain boisé pour éviter qu’il soit acquis par des promoteurs immobiliers qui veulent y construire un nouveau quartier.

« La chose intelligente à faire, c’est de conserver le boisé », affirme le candidat, applaudi par les citoyens présents.

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David Marra-Hurtubise, candidat à la mairie de Mirabel et chef du parti Mouvement citoyen Mirabel

[Si le propriétaire vend son terrain aux promoteurs,] la pépine va rentrer ici, le bulldozer va arriver, il n’y en aura plus, de boisé. On est à leur merci. Il est minuit moins une !

David Marra-Hurtubise, candidat à la mairie de Mirabel et chef du parti Mouvement citoyen Mirabel

Depuis des années, les habitants du quartier résidentiel voisin viennent marcher et promener leurs chiens dans cette petite forêt. Les amateurs d’équitation, nombreux dans le secteur, y emmènent leurs montures.

Le propriétaire, Stanley Turcotte, tolère ces allées et venues sur son terrain. Il préférerait le vendre à la Ville de Mirabel pour qu’elle en fasse un parc municipal, plutôt que de voir les arbres coupés pour y construire des maisons. Mais les négociations avec la municipalité achoppent.

Une question de gros sous

L’adversaire de David Marra-Hurtubise dans la course à la mairie de Mirabel, le conseiller municipal Patrick Charbonneau, du parti Action Mirabel, se défend d’être contre la protection du bois. Il propose d’en conserver une partie, mais fait remarquer qu’il y a d’autres terrains à protéger ailleurs.

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Patrick Charbonneau, candidat à la mairie de Mirabel et chef du parti Action Mirabel

Mon territoire est plus grand que l’île de Montréal. Des boisés qu’on veut préserver, il y en a un peu partout. Ce qu’on veut, c’est être équitable avec tout le monde.

Patrick Charbonneau, candidat à la mairie de Mirabel et chef du parti Action Mirabel

C’est aussi une question de gros sous. Le terrain en question vaut environ 4 millions, selon Patrick Charbonneau. Faut-il faire payer tous les citoyens de Mirabel pour cet achat, ou seulement ceux du secteur visé ? Si on se limite aux résidants du secteur, on parle d’une hausse de 300 à 400 $ de taxes municipales, estime-t-il. « On va faire un sondage, mais ce n’est pas tout le monde qui est d’accord avec une telle augmentation de taxes », fait-il remarquer.

Mobilisations vertes

Des débats comme celui qui fait rage à Mirabel se produisent un peu partout dans la grande région de Montréal. Les élections municipales sont l’occasion pour des citoyens de demander aux candidats de prendre des engagements pour la protection des espaces verts, une préoccupation qui semble de plus en plus importante pour une partie des électeurs. Pas facile de trouver l’équilibre entre construction résidentielle et commerciale et conservation de l’environnement.

« Dans plusieurs municipalités, depuis la pandémie de COVID-19, les gens ont découvert les espaces boisés près de chez eux, ils se sont identifiés à ces secteurs, parfois menacés de disparaître, et ils appellent les organismes environnementaux pour avoir des appuis », observe Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), qui dit avoir été inondé d’appels de citoyens d’un peu partout, inquiets pour la préservation de leurs espaces verts.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Traverse de cerfs à Longueuil, près du boisé Du Tremblay

Carole Mainville, retraitée de Longueuil, a justement décidé de s’engager dans sa ville pour la conservation du boisé Du Tremblay, habitat de la rainette faux-grillon, une espèce menacée.

Avec le confinement, les gens ont repris contact avec la nature. Ils sont plus nombreux à être conscients de l’importance des milieux naturels, et à penser qu’il faut arrêter de construire dans ces milieux-là.

Carole Mainville, membre de La planète s’invite au Parlement – Longueuil

Avec son groupe, La planète s’invite au Parlement – Longueuil, Carole Mainville a organisé un débat sur les questions environnementales entre les quatre candidats à la mairie, le 19 octobre. Quelques jours plus tard, une manifestation a aussi attiré entre 150 et 200 personnes dans le secteur du boisé Du Tremblay.

Des enjeux semblables de préservation des milieux naturels sont aussi présents dans les campagnes municipales à Pointe-Claire (forêt Fairview), à La Prairie (parc régional de la rivière Saint-Jacques), à Sainte-Marthe-sur-le-Lac (parc Félix-Leclerc), à Saint-Joseph-du-Lac (Les Plateaux du ruisseau), à Saint-Jérôme (forêt du lac Jérôme). L’avenir de terrains de golf, surtout quand ils sont sur le point de cesser leurs activités comme à Saint-Jean-sur-Richelieu, est aussi au centre des débats dans plus d’une municipalité de la région (voir onglet suivant).

Une plage menacée

À Hudson, à l’ouest de Montréal, par exemple, c’est la plage locale, Sandy Beach, ainsi que les milieux humides adjacents qui sont à risque de disparaître au profit d’un projet résidentiel de 214 logements.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Plage Sandy Beach, à Hudson

La plage est utilisée par les résidants depuis de nombreuses années, ainsi que le bois qui se trouve derrière, où les promeneurs se baladent dans les nombreux sentiers, souligne John Jennings Corker, porte-parole du groupe citoyen Nature Hudson.

Le groupe a commandé une étude, récemment, pour répertorier la faune et la flore sur le site. « Durant notre étude, nous avons observé et identifié positivement 343 espèces de flore et de faune, [dont] un total de 29 espèces en péril. Parmi les espèces en péril, nous avons identifié 13 espèces de plantes, 3 espèces de tortues, 6 espèces d’oiseaux, 4 espèces de chauves-souris et trois espèces d’insectes », indique le rapport préparé par la firme TerraHumana Solutions.

« Les candidats à la mairie ont beaucoup de pression de la part des citoyens pour protéger ce terrain », constate M. Corker.

Que faire des anciens terrains de golf ?

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Le terrain de golf Les Légendes, à Saint-Jean-sur-Richelieu

Les passionnés du putter ne sont plus les seuls à examiner minutieusement la topographie des terrains de golf du Grand Montréal. Promoteurs immobiliers, écologistes et élus locaux sont nombreux, ces jours-ci, à lorgner ces oasis gazonnées.

Dans plusieurs municipalités, l’avenir des golfs est au centre des actuels débats électoraux, alors que le sport est en déclin et que les terrains pour les promoteurs se font rares. Chaque fois, le même dilemme se pose : la verdure artificielle vaut-elle la peine d’être préservée ? C’est notamment le cas à Saint-Jean-sur-Richelieu, ou pas moins de quatre terrains de golf sont dans la ligne de mire de promoteurs, selon le maire sortant, Alain Laplante.

L’élu est particulièrement préoccupé par l’avenir du golf Les Légendes, qui doit cesser ses activités ces jours-ci après 45 ans. Ses propriétaires espèrent y construire 250 résidences unifamiliales.

Un golf, « c’est un espace vert à protéger », plaide le maire Laplante en entrevue téléphonique avec La Presse. L’élu s’oppose fermement à tout lotissement du terrain. « Les citoyens nous disent toujours la même chose : ils n’en veulent pas. »

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Alain Laplante, maire sortant de Saint-Jean-sur-Richelieu

C’est possible de continuer le développement de Saint-Jean en protégeant notre territoire. C’est ce qu’on propose. Notre territoire, il est précieux.

Alain Laplante, maire sortant de Saint-Jean-sur-Richelieu

Son opposante, Andrée Bouchard, souhaite « en faire un parc naturel accessible à l’année ». Elle a toutefois ajouté, en entrevue avec La Presse, qu’elle voulait d’abord organiser une vaste consultation sur tout ce secteur de la ville avant de prendre une position définitive. M. Laplante doute d’ailleurs de la sincérité de cet engagement. « Mme Bouchard a un agenda caché », lance-t-il.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Andrée Bouchard, candidate à la mairie
de Saint-Jean-sur-Richelieu

Les promoteurs du projet résidentiel sont représentés par l’urbaniste Marc Perreault, qui s’est impliqué dans de nombreux projets de lotissement de golfs au cours des dernières années. « Au début des années 1980, on a vu émerger des concepts intégrés golf-habitations. J’en ai développé moi-même », se souvient-il. « Je pense qu’on a surestimé, à cette époque-là, le marché des golfeurs. […] Les pépinières de golfeurs sont moins importantes, les cohortes se réduisent. »

D’autres projets qui divisent

L’avenir du golf Les Légendes est loin d’être le seul à diviser dans le Grand Montréal. À Rosemère, par exemple, le maire sortant, Eric Westram, et son opposant Pierre-André Geoffrion s’écharpent sur un projet de lotissement du golf local qui vient de recevoir un avis défavorable de Québec. Le premier propose de garder la moitié du terrain en espace vert, et le second veut que la municipalité préserve la quasi-totalité du terrain.

À l’Estérel, dans les Laurentides, le projet de transformation d’une partie du golf local en complexe touristique, avec un deuxième grand hôtel, a suscité l’inquiétude l’hiver dernier. Le maire sortant, Joseph Dydzak, doit maintenant affronter dans les urnes le leader de l’opposition à ce projet, Frank Pappas.

Selon la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), trois golfs (Candiac, Terrebonne, Mascouche) font l’objet de projets de transformation en parc municipal.

À Saint-Jean-sur-Richelieu, Marc Perreault dénonce le refus complet du maire sortant de discuter avec ses clients. « La municipalité, à un moment donné, doit s’asseoir avec les promoteurs et les résidants pour convenir de ce qui serait accepté comme développement, comme compromis », soutient M. Perreault, dont le projet prévoit consacrer environ le tiers du terrain à un parc.

« On va conserver une large portion d’espace vert riverain. Au-delà de ça, on va construire de la faible densité. […] Sur le plan biologique, ce ne sont pas des territoires qui sont nécessairement très riches, mais il y a une faune qui s’est développée, il y a une végétation qui prend la place. »

Des débats jusqu’à Montréal

À Montréal aussi, l’avenir d’un terrain de golf fait débat. Les terrains du Club de golf métropolitain Anjou sont au cœur d’une lutte entre promoteurs du lotissement et partisans de la préservation. Denis Coderre, allié au maire local Luis Miranda, fait partie du premier camp, Valérie Plante du second.

Début septembre, la mairesse sortante Valérie Plante s’était engagée à conserver l’affectation « Grand espace vert » des terrains du golf, en se disant même disposée à user du droit de préemption de la Ville. Elle voudrait idéalement intégrer ces terrains au parc-nature du Bois d’Anjou et, éventuellement, au projet de Grand Parc de l’Est. Le projet serait bâti selon le même principe que dans l’Ouest, soit en reliant plusieurs parcs pour créer un grand espace vert commun.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le Club de golf métropolitain Anjou, à Montréal

Mme Plante avait alors déploré que l’arrondissement d’Anjou – dont le parti du maire Luis Miranda soutient ouvertement Denis Coderre dans l’actuelle campagne – « [ait] autorisé la construction d’un Costco » alors que « les espaces verts sont sérieusement menacés par d’autres développements industriels ».

Le maire Luis Miranda a d’ailleurs souvent critiqué l’administration Plante pour son attitude dans ce dossier. « Ce sont des terrains d’une ancienne raffinerie BP. Ils ne sont pas propices à faire un parc. [Il a toujours été prévu que le golf serait] temporaire », soutenait-il dans La Presse l’an dernier. Selon le maire, il faut comprendre que « les gens qui ont le golf sont dans leur droit d’en faire un développement ».

Plusieurs organismes militent pour la préservation de la partie nord du golf, alors qu’au sud-ouest, des constructeurs ont déjà obtenu le feu vert pour construire trois bâtiments, dont un entrepôt Costco. « C’est un enjeu vraiment important pour lequel on voudrait idéalement un engagement de tous les partis. Il faut maintenir le zonage actuel au nord, et l’intégrer dans le parc-nature du Bois d’Anjou », fait valoir le directeur général du Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-MTL), Emmanuel Rondia.