(Ottawa) Le gouvernement fédéral interjette appel d’une décision lui ordonnant d’indemniser les enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, mais affirme que les parties ont convenu de continuer à discuter des prochaines étapes dans l’espoir de parvenir à un accord à l’amiable.

Le gouvernement a déposé l’avis d’appel vendredi en fin de journée tout juste avant son échéance pour le faire et à la clôture de la Cour d’appel fédérale.

De nombreux Canadiens, dirigeants autochtones, parlementaires et militants guettaient ce que le gouvernement ferait, car le cas a été considéré par certains comme un test de l’engagement des libéraux envers la réconciliation.

En 2016, le tribunal des droits de la personne a conclu qu’Ottawa avait fait preuve de discrimination contre les enfants des Premières Nations en sous-finançant sciemment les services à l’enfance et à la famille pour ceux qui vivent dans les réserves.

Les plaignants dans cette affaire, présentée pour la première fois en 2007, affirment que cela a conduit des milliers d’enfants à être retirés de leur famille et à subir des abus et des souffrances dans les systèmes provinciaux de placement en familles d’accueil.

Le tribunal a déclaré que chaque enfant des Premières Nations ainsi que leurs parents ou grands-parents qui ont été séparés en raison de ce sous-financement chronique étaient admissibles à recevoir 40 000 $ en compensation fédérale, soit le montant maximum qu’il pouvait accorder.

On estime qu’environ 54 000 enfants et leurs familles pourraient être admissibles, ce qui signifie qu’Ottawa pourrait devoir payer plus de 2 milliards.

Le tribunal a également décidé que les critères devaient être élargis afin que davantage d’enfants des Premières Nations puissent être admissibles au principe de Jordan, une règle conçue pour garantir que tous les enfants des Premières Nations vivant au Canada ont accès aux produits, aux services et au soutien dont ils ont besoin.

En 2019, le gouvernement fédéral a demandé à la Cour fédérale de rejeter les décisions du tribunal. Une partie de ses arguments, selon un résumé du tribunal, était que d’accorder une indemnisation individuelle signifie qu’il faut prouver le préjudice individuel.

La Cour fédérale a confirmé les ordonnances le mois dernier et vendredi était le dernier jour pour le gouvernement pour interjeter appel de la décision.

Une résolution d’ici décembre

Dans une déclaration commune vendredi, la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, et le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, ont déclaré que les parties ont convenu « de suspendre les procédures judiciaires relatives à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne ».

« Nous avons convenu de travailler ensemble dès aujourd’hui afin d’en arriver à une résolution globale d’ici décembre 2021 sur les questions en suspens qui ont fait l’objet de litiges », affirment les ministres.

« Cela signifie que, bien que le Canada ait déposé un “appel conservatoire” de la décision de la Cour fédérale du 29 septembre 2021, l’appel sera suspendu et l’accent sera mis sur la conclusion d’une entente hors cour et à la table de négociation », ajoutent-ils dans la déclaration commune.

Les parties en cause sont le gouvernement fédéral, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations.

Cindy Blackstock, de la Société de soutien, a déclaré dans une entrevue qu’elle était déçue que le gouvernement fédéral ait choisi d’interjeter appel.

« Nous ne négocierons en aucun cas une réduction de l’indemnisation », a-t-elle déclaré.

Elle a affirmé que la pause pour les pourparlers se concentrerait sur l’équité des services à l’enfance et à la famille, afin de garantir que le gouvernement fédéral augmente le financement pour les familles des Premières Nations.

La cheffe nationale RoseAnne Archibald de l’Assemblée des Premières Nations a déclaré dans un communiqué que, bien que découragés par un autre appel, « nous sommes encouragés par le fait qu’une date limite sera fixée pour négocier un règlement sur cette question ».

Le grand chef adjoint Bobby Narcisse de la nation Nishnawbe Aski, qui représente les Premières Nations du nord de l’Ontario et est également partie à l’affaire, a qualifié le processus de frustrant.

La déclaration des ministres a ajouté qu’en plus d’une indemnisation équitable pour ceux qui ont subi un préjudice, le gouvernement s’engage également à faire des investissements importants pour s’attaquer à la réforme à long terme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

Aucune intention de réduire les montants

Lors d’une conférence de presse vendredi soir, M. Miller a déclaré qu’il n’y avait aucune intention de réduire les montants devant être versés aux enfants qui ont été retirés de leur foyer, mais a reconnu que ceux qui se battent pour une indemnisation sont sceptiques.

« La confiance est mince, a-t-il déclaré. Je ne peux pas garantir le succès sur ce point, mais je peux vous garantir que nous ferons de notre mieux. »

M. Miller a affirmé qu’il n’y a pas de réponse simple quant à la raison pour laquelle Ottawa ne verse pas simplement aux victimes l’argent accordé par le tribunal.

Il a déclaré que si le gouvernement mettait en œuvre les ordonnances telles quelles, les membres d’autres actions collectives représentant d’autres groupes d’enfants des Premières Nations ne seraient pas indemnisés et que l’affaire touche différentes juridictions.

« Nous pourrions mettre en œuvre les ordonnances (du tribunal), telles qu’elles sont écrites, demain, a-t-il déclaré. Cela ne réparerait pas le système qui continue d’être brisé. Cela avancerait très peu sur la réforme à long terme. »

Il a déclaré que le gouvernement proposait une « offre financière très importante » pour indemniser les enfants qui ont subi des préjudices alors qu’ils étaient dans les systèmes de protection de l’enfance, y compris ceux qui sont à l’origine d’autres actions collectives. Il a dit qu’il ne pouvait pas divulguer le montant précis, mais le gouvernement sait qu’une indemnisation appropriée s’élèverait à « des milliards de dollars ».

Lorsqu’on lui a demandé directement si chaque enfant des Premières Nations, leurs parents et grands-parents touchés par le système recevraient 40 000 $ chacun, il a répété que les détails de l’offre étaient confidentiels.

« Il y a des enfants qui ont droit à plus de 40 000 $, c’est clair », a-t-il ajouté plus tard lors de la conférence de presse.

M. Miller a déclaré que les pourparlers pouvaient être « désordonnés », mais il a ajouté : « Le désordre, c’est bien. C’est là que nous réglons les choses. »

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déclaré qu’il était « profondément décevant », mais malheureusement pas surprenant que le gouvernement libéral ait décidé d’interjeter appel de la décision.

« Au cours des six dernières années, Justin Trudeau a dit de belles choses sur la réconciliation, mais malheureusement, à chaque occasion, il ne soutient pas cela par une action significative », a déclaré M. Singh dans un communiqué.

Dans l’avis d’appel, le gouvernement affirme que le Canada reconnaît la conclusion de discrimination systémique et ne s’oppose pas au principe général selon lequel les personnes des Premières Nations qui ont subi des préjudices en raison d’une inconduite du gouvernement devraient être indemnisées.

« L’octroi d’une indemnisation à des personnes de la manière ordonnée par le Tribunal était toutefois incompatible avec la nature de la plainte, la preuve, la jurisprudence antérieure et la Loi canadienne sur les droits de la personne », indique-t-on.