Après un été sous le signe des extrêmes climatiques, l’environnement pourrait être un enjeu important de la campagne électorale qui s’amorce. En moins de deux ans, le Parti libéral est parvenu à marquer de « bons coups » en matière d’environnement, mais pas à surmonter l’incohérence de ses politiques, estiment les observateurs consultés par La Presse.

Le Parti libéral de Justin Trudeau avait promis beaucoup de choses en matière d’environnement, lors de la campagne électorale de 2019.

Deux milliards d’arbres plantés en 10 ans, 5000 bornes de recharge pour véhicules électriques, protection de 25 % du territoire d’ici 2025, interdiction des plastiques à usage unique, subventions aux rénovations vertes.

Mais ce sont la lutte contre les changements climatiques et la promesse phare d’atteindre la carboneutralité pour 2050 qui étaient au cœur des engagements libéraux.

« Le Parti libéral a entendu la voix des Canadiennes et des Canadiens avec la dernière élection, il est de plus en plus sérieux sur les questions environnementales », observe Annie Chaloux, professeure en politique environnementale à l’Université de Sherbrooke.

Là où le bât blesse, c’est que le gouvernement tente « encore de ménager la chèvre et le chou », notamment en finançant l’industrie des énergies fossiles, dit-elle.

« On ne peut plus se permettre ces incohérences-là », lance la professeure.

L’aide fédérale au secteur des combustibles fossiles s’est élevée à 10,7 milliards de dollars par année, en moyenne, sous Justin Trudeau – sans compter l’acquisition et l’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain –, soit davantage que sous Stephen Harper, rapportait récemment Le Devoir.

C’est comme si le gouvernement continuait à subventionner le secteur du tabac, parce qu’il y a beaucoup d’emplois dans ce secteur-là, que c’est une industrie canadienne, même si l’on sait qu’elle cause des maladies pulmonaires graves et qu’elle n’apporte pas de bénéfices sociétaux.

Annie Chaloux, professeure en politique environnementale à l’Université de Sherbrooke

Entretenir un mirage

L’adoption d’une « loi climat » qui contraindra Ottawa à respecter ses cibles de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) est une avancée significative, souligne René Audet, titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

En revanche, il déplore que les libéraux entretiennent le mirage que « les technologies vertes vont nous sauver » sans remettre en question la façon dont nous consommons, nous nous déplaçons et nous aménageons le territoire.

Le problème du changement climatique, ce n’est pas seulement l’extraction des énergies fossiles, c’est l’ampleur de notre structure productive mondiale qu’il faudrait qu’on diminue, mais ce n’est jamais évoqué parce que ça porte le nom de décroissance ou de post-croissance.

René Audet, titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM

Il est pourtant possible de transformer radicalement la structure économique de la société, dit-il, évoquant la Révolution tranquille survenue dans les années 1960, au Québec, marquée par des « interventions gouvernementales fortes ».

« C’est un bon exemple où une classe politique porte un projet qui est approuvé socialement par une grande majorité, explique-t-il. Tout le monde était très fier de la nationalisation de l’électricité et de la construction des grands barrages. »

Tiraillé entre ambition et industrie

Le gouvernement de Justin Trudeau affiche une « ambition très forte » tout en étant « obligé de tenir compte du secteur énergétique qui est fondamental au Canada », ce qui le condamne à tenir un « double discours », résume Frédéric Boily, professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta.

Ainsi, la question de l’oléoduc Trans Mountain « vient ternir le bilan libéral », qui affiche tout de même des réussites, comme la consolidation de la tarification sur le carbone, illustre le politologue.

Les engagements libéraux ne sont pas toujours « en phase avec la réalité du terrain », ajoute le politologue, donnant l’exemple des transports, un enjeu dans l’Ouest canadien.

On veut bien réduire notre empreinte environnementale, mais quand vient le temps de voyager à travers les provinces, les solutions qui s’offrent ne sont pas si nombreuses et on finit par prendre l’avion.

Frédéric Boily, professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta

Pluie d’annonces

Le gouvernement libéral a multiplié les annonces « vertes » à l’approche du déclenchement de la campagne électorale.

En juin et juillet, Ottawa a procédé à une quinzaine d’annonces de déploiement d’« infrastructures de recharge pour véhicules électriques », pour un total d’une quarantaine d’annonces depuis les dernières élections.

Depuis le début du mandat libéral actuel, 335 bornes avaient été installées, en date du 1er août, a indiqué à La Presse le ministère des Ressources naturelles.

Les libéraux se sont aussi mis depuis la mi-juillet à faire des annonces liées à la plantation des deux milliards d’arbres promis lors de la dernière campagne électorale.

En juin, le gouvernement avait affirmé que la plantation était en branle et que 30 millions d’arbres seraient plantés d’ici la fin de l’année.

« Ce sont des choses importantes, mais ça ne se fait pas à la vitesse qu’il faudrait », affirme René Audet.

Annie Chaloux abonde dans le même sens, affirmant que les actions qui comptent, désormais, sont celles qui permettent de « réduire les émissions de GES dès le jour un ».

Ce qu’en pensent les groupes écologistes

Le gouvernement fédéral s’est récemment doté d’une cible de vente de véhicules zéro émission de 100 % d’ici 2035, une excellente nouvelle, mais il tarde à mettre en place des mesures suffisantes pour l’atteindre. Les véhicules zéro émission représentaient seulement 3,5 % des ventes de véhicules neufs à la fin de l’année 2020.

Andréanne Brazeau, Équiterre

Ce gouvernement a beaucoup surfé sur la problématique du plastique, notamment sur les objets à usage unique, [mais] ce n’est pas tellement le plastique qui est le problème, c’est l’usage unique. On voit de plus en plus des produits de substitution, comme des pailles en carton. C’est vraiment des coups d’épée dans l’eau.

Karel Ménard, Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Depuis l’accord de Paris en 2015, on a vu au Canada des mesures climatiques sans précédent et d’autres mesures environnementales, mais il y a toujours un refus obstiné de prendre l’action la plus critique et nécessaire pour un avenir vivable : arrêter l’expansion des combustibles fossiles.

Sabaa Khan, Fondation David Suzuki, section Québec et Atlantique

Même s’ils se peignent en vert, les libéraux restent propriétaires d’un pipeline de sables bitumineux dont le secteur ne voulait pas et leurs actions manquent totalement de cohérence et d’ambition par rapport aux exigences de la science. [Leur] nouvelle cible de réduction des GES est moins ambitieuse que celle des États-Unis et est loin d’être à la hauteur de ce que devrait être la juste part du Canada.

Patrick Bonin, Greenpeace Canada

Le gouvernement Trudeau a tenu promesse en créant un fonds permanent de 3 milliards par année pour les transports en commun. Pour que la transition écologique soit juste, le gouvernement fédéral devrait être beaucoup plus proactif afin de garantir l’abordabilité du logement, en particulier à proximité des axes de transports en commun.

Christian Savard, Vivre en ville

C’est très bien de se doter de cibles de protection du territoire, mais il faut absolument qu’il y ait les fonds associés à cette promesse-là. On n’a pas atteint [les cibles] qu’on devait atteindre en décembre 2020. On a des belles promesses, mais il faut aller vraiment plus loin et il faut dès maintenant soumettre un plan d’action.

Alice-Anne Simard, Nature Québec

Malgré des investissements importants, le Canada n’a pas fait de progrès substantiel en matière de protection de la biodiversité. Il n’y a actuellement aucune volonté politique de protéger l’habitat des espèces en péril, même celles qui, comme le chevalier cuivré, sont au bord du gouffre.

Alain Branchaud, Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec

Engagements environnementaux des libéraux en 2019

  • Viser la carboneutralité en 2050
  • Planter 2 milliards d’arbres d’ici 2030
  • Déployer 5000 bornes de recharge pour véhicules électriques
  • Subventionner les rénovations vertes
  • Protéger 25 % des terres et des océans d’ici 2025
  • Interdire les plastiques à usage unique
  • Assurer de l’énergie propre et renouvelable pour chaque communauté (fonds de 5 milliards)
  • Accroître la tarification sur le carbone
  • Attribuer 1 milliard à l’adaptation aux changements climatiques
  • Investir « chaque dollar » provenant de l’oléoduc Trans Mountain dans les énergies propres
  • Rendre les grands ports plus propres