Les derniers mois ont été éprouvants. Mais au-delà de la COVID-19 et des trop nombreux drames qui ont secoué le Québec, du beau a réussi à se faire une place. La Presse vous raconte quatre histoires de personnes d’exception qui ont marqué leur communauté et leur député.

Le camion de Normand Saint-Jean, avec son imposante chaîne stéréophonique, Ian Lafrenière le connaît bien. Très bien, même. En 2012, pendant les manifestations du printemps érable, l’actuel ministre des Affaires autochtones était porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Norm, comme il l’appelle, accompagnait pour sa part les associations étudiantes, jour après jour, pour mettre de la musique dans leurs marches. Au grand dam des policiers.

C’est Normand Saint-Jean qui a rappelé cette anecdote au député de Vachon, à l’hiver 2020, quand ils se sont rencontrés dans des circonstances plus dramatiques. Au cours de la première vague de COVID-19, son père, Denis Saint-Jean, 94 ans, était, comme tous les résidants, isolé dans sa chambre au CHSLD Henriette-Céré, à Longueuil.

« Je me suis pointé là avec une petite boîte de concombres que j’avais apportés pour mon père avec du sel, du poivre et un peu de vinaigre. Il aimait ça comme ça. Mais on m’a empêché de monter », se rappelle-t-il.

Puis, le temps a passé. Les mesures sanitaires, que plusieurs espéraient de courte durée, ont été renforcées. La pandémie n’avait aucune pitié pour les familles. M. Saint-Jean a interpellé son député afin d’obtenir de l’aide.

« À un moment donné, je pensais voir mon père de son fauteuil roulant à la fenêtre, mais j’ai vu que les préposés avaient plutôt tassé le lit. C’était un peu le début de la fin », raconte-t-il.

La dernière visite

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

23 juin dernier. Normand Saint-Jean (qui discute avec une préposée) fait une tournée de RPA et de CHSLD pour la fête nationale avec le ministre Ian Lafrenière.

Avec l’aide de sa fille Joëlle, qui a multiplié les démarches pour voir une dernière fois son grand-père, Normand Saint-Jean a interpellé les autorités sanitaires pour obtenir un droit d’accès. Le bureau du député Ian Lafrenière a participé aux discussions. Au cœur d’une première vague qui frappait durement les CHSLD, la tension était à son comble.

Quand il s’est présenté au CHSLD le jour de l’ultime visite, Normand Saint-Jean savait que son père ne prenait plus sa médication et ne mangeait plus depuis un moment.

« Je suis monté au troisième étage par l’escalier de secours, habillé en canard. Les gants, le masque, la visière. Les ascenseurs ne fonctionnaient pas pour une question de sécurité. Ils m’ont changé rendu en haut parce que j’avais touché à la rampe », se souvient-il.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Normand Saint-Jean et son père, Denis Saint-Jean

« Quand je suis arrivé à sa chambre, j’ai vu que c’était une zone de guerre. Autant pour les résidants que pour les préposés. Tout le monde se garrochait. Il y avait l’armée canadienne, les paramédicaux. Tout le monde tenait aux résidants », raconte-t-il, affirmant qu’il admire le travail qui a été fait par les préposés.

« [À son chevet], il a à peine bougé. Je lui tenais la main, mais le contact n’est pas pareil avec un gant de latex. »

Je lui avais apporté un 7-Up, parce que je savais qu’il aimait beaucoup ça. Il n’a pas ouvert les yeux, mais il a pris deux, trois lapées, si je peux dire. Je lui ai parlé, mais il ne m’a pas répondu.

Normand Saint-Jean, à propos de son père

« Il était très faible. C’est une image que je n’oublierai jamais », dit M. Saint-Jean.

Ne pas les abandonner

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Le ministre Ian Lafrenière salue les résidants du CHSLD Henriette-Céré.

Encore à ce jour, Normand Saint-Jean est habité par ce qu’a vécu son père dans ses dernières semaines de vie. Il était isolé, ne pouvant pas parler au téléphone ou sur un iPad, parce qu’il était « dur d’oreille ». Normand espère que Denis comprenait que ses proches pensaient sans cesse à lui.

« La crainte, pour ma famille et moi, c’était qu’il se sente abandonné par nous autres. Veut, veut pas, ça nous a traversé l’esprit et je me pose encore la question. Ça me fait mal, cette histoire-là », affirme-t-il.

Normand Saint-Jean était bien connu des résidants du troisième étage du CHSLD Henriette-Céré. Même si son père n’est plus, il continue malgré tout ses tournées pour les voir et les amuser.

« Tu aurais pu nous en vouloir collectivement, Norm. Vivre ce départ-là sans être présent, c’est horrible. Mais tu as décidé de revirer ça de bord et de t’impliquer. Chaque fois qu’on va au CHSLD, les gens te connaissent. C’est incroyable », affirme Ian Lafrenière.

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Le ministre Ian Lafrenière reçoit des fleurs des mains d’Isabelle Caron, qui était gestionnaire au CHSLD Henriette-Céré lors de la crise.

À Noël et à la Saint-Jean-Baptiste, Normand fait monter le député à bord de son camion, le même qu’il utilisait en 2012 dans les manifestations. Cette fois-ci, c’est Ian et son ami Norm qui choisissent ensemble la musique. Pour faire danser les résidants et oublier, pour un instant, les conséquences de la pandémie.

« Quand on est allé à Henriette-Céré la première fois, j’ai regardé la chambre où était mon père. Je voyais des résidants en sortir et, évidemment, mon père n’était pas là. Ça, ça m’a arraché le cœur. J’ai trouvé ça dur », raconte Normand Saint-Jean.

« Mais je vais être là pour eux. Si je peux apporter 10 minutes de bonheur à ces personnes-là, c’est déjà ça. Je suis chanceux de faire ça. Je suis honoré de le faire », conclut-il.