Le gouvernement du Québec a finalement adopté son règlement qui permettra de suivre par GPS la trace des chargements de sols contaminés qui se déplacent au Québec, une étape importante pour assainir une industrie mise à mal par l’infiltration du crime organisé ces dernières années. 

« J’ai le plaisir d’annoncer l’adoption de ce règlement qui vise à mettre un terme au fléau des déversements illégaux de sols contaminés. Dès le mois de novembre, le recours obligatoire au système de traçabilité nous permettra de suivre chaque mouvement de sols contaminés au Québec, de leur excavation jusqu’à leur destination finale », a déclaré lundi le ministre de l’Environnement Benoit Charette.

Dès avril 2019, le ministre avait exposé les grandes lignes de son projet, mais des pépins légaux et techniques ont retardé à quelques reprises son adoption.

Depuis 2016, plusieurs enquêtes journalistiques de La Presse ont mis à jour des déversements illégaux de sols contaminés à la campagne. Les chantiers en milieu urbain mènent à l’excavation de sols pleins de mazout, essence, métaux lourds et autres résidus potentiellement toxiques. Envoyer le tout dans un centre agréé pour procéder à la décontamination coûte cher.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre Benoit Charette avait exposé en avril 2019 sa vision pour suivre à la trace les sols contaminés.

Plusieurs acteurs malhonnêtes du milieu préfèrent jeter le tout discrètement à la campagne. Selon nos informations, les autorités ont identifié au sein de cette filière des suspects proches des Hells Angels, de la mafia montréalaise et d’un groupe du crime organisé basé en territoire mohawk ces dernières années.

Double revers

Les autorités ont subi deux revers importants dans leurs tentatives pour discipliner l’industrie. La Sûreté du Québec disait avoir mis à jour une organisation criminelle qui se livrait à des déversements massifs, au point où des experts du ministère de l’Environnement craignaient l’apparition de « mutations » chez les animaux, selon un rapport que nous avons obtenu. Aucune accusation criminelle n’a toutefois été portée en raison du suicide d’un témoin et des difficultés de gestion de la preuve.

Une tentative d’imposer des amendes au même groupe pour infractions aux lois environnementales a fait chou blanc en raison de l’arrêt Jordan sur les délais judiciaires déraisonnables.

Le nouveau règlement sera implanté par étapes à partir du 1er novembre prochain, en commençant par les plus gros chantiers. À partir de 2023, l’utilisation du système de traçabilité sera obligatoire pour tout projet qui génère le déplacement au Québec de sols contaminés, y compris si ceux-ci prennent le chemin de l’Ontario. Des bordereaux électroniques seront remplis par le générateur, le transporteur et le récepteur des sols, et toute anomalie (par exemple un chemin illogique utilisé par le transporteur ou une différence de quantité à l’arrivée) sera détectable rapidement.

À terme, pour les chantiers qui génèrent plus de 200 tonnes métriques de sols contaminés, les camions pourront être suivi en temps réel par GPS.

Réactions favorables dans l’industrie

Le Conseil patronal de l’Environnement du Québec s’est réjoui de l’adoption du règlement, qu’il juge essentiel « afin que cessent les pratiques illégales en la matière ».

Réseau Environnement, un regroupement d’experts de l’industrie et du secteur public, a aussi salué l’initiative. « On est très contents, on a poussé beaucoup là-dessus », affirme sa PDG Christiane Pelchat. Son organisme compte maintenant pousser pour que la traçabilité soit étendue le plus rapidement possible aux rebuts de construction et démolition, un secteur où des déversements illégaux ont aussi été détectés. Il souhaite aussi que de nouveaux débouchés soient trouvés pour la réutilisation des sols faiblement contaminés.

« Ce sont de très bonnes nouvelles », renchérit Richard Mimeau, directeur général du Conseil des entreprises en technologies environnementales Québec.

« On est heureux de voir que tout le monde va pouvoir jouer sur un pied d’égalité et que les marchés parallèles vont disparaître », dit-il.

Jean-François Landry, président de l’entreprise de décontamination RSI Environnement, voit la nouvelle comme une bouffée d’air frais.

« Avec le gouvernement en place, ça n’avance peut-être pas toujours aussi vite qu’on veut, mais ça avance. Juste le fait qu’ils en parlaient depuis deux ans, ça nous a aidés, on sent qu’il y a un virage. La prochaine étape serait d’harmoniser la réglementation avec l’Ontario, parce que certains clients vont encore là-bas enfouir des sols, ce qui est pas mal moins cher que d’utiliser la décontamination ici au Québec », affirme le dirigeant, dont les installations emploient 65 travailleurs syndiqués à Saint-Ambroise, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.